Focus 2030
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3 questions à Friederike Röder, Vice-Présidente de Global Citizen

Publié le 8 novembre 2023 dans Décryptages

Les 22 et 23 juin 2023, s’est tenu à Paris le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial. Depuis, les dirigeant·e·s d’États, les gouvernements, les organisations internationales, la société civile et le secteur privé ont été invités à discuter et mettre en oeuvre des solutions pouvant répondre aux crises du climat et de la pauvreté, étroitement liées. Réforme de l’architecture financière internationale, financements innovants, annulation et rééchelonnement de dettes sont autant de sujets discutés pour adapter le financement du développement aux besoins des pays les plus vulnérables. 

Afin de décrypter les enjeux actuels du financement du développement, Focus 2030 met en avant le point de vue d’expert·es à travers une série d’entretiens avec des représentants de gouvernements, d’organisations internationales, d’ONG, de think tanks, etc. 

Découvrez notre dossier spécial consacré aux enjeux de la refonte de l’architecture financière internationale, qui dresse un bilan des progrès et obstacles observés depuis la tenue du Sommet pour un Nouveau pacte financier mondial.

 

3 questions à Friederike Röder, Vice-Présidente de Global Citizen.

Propos recueillis le 7 novembre 2023 par Focus 2030.

Focus 2030 : Global Citizen était mobilisée lors du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial dans le cadre de la campagne Power Our Planet, afin de réclamer un changement en profondeur du système financier international en faveur des pays en développement. Quelles évolutions avez-vous observées depuis le lancement de cette campagne en avril dernier ?

 

Friederike Röder : La campagne Power Our Planet de Global Citizen, lancée en amont du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, exigeait urgemment des changements de la part des gouvernements, des banques multilatérales de développement et des grandes entreprises pour changer en profondeur le système financier international en faveur des pays en développement (PED). Il y a eu certaines évolutions depuis juin, et ces sujets ont été remis à l’ordre du jour de plusieurs rencontres internationales : Sommet africain d’action pour le climat, G20, Assemblée générale des Nations unies, réunions annuelles de la Banque mondiale et du FMI.

Sans transformation structurelle, il y a eu quelques avancées sur l’objectif de mobilisation de nouveaux financements en réformant la Banque mondiale et d’autres banques multilatérales de développement pour mobiliser en tout 250 milliards de dollars sur dix ans, dont environ 150 milliards de la Banque mondiale. Mais bien plus est possible. Un rapport récent par exemple estime que la Banque mondiale pourrait lever en tout 190 milliards de dollars, sans aucune injection de capital de la part de ses actionnaires. (Rapport Rockefeller).

Les économies développées ont renouvelé leur engagement de réallouer au moins 20 % de leurs droits de tirage spéciaux (DTS) au bénéfice des pays les plus vulnérables lors du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial qui a eu lieu en juin à Paris. Cela permettrait d’atteindre un total de 100 milliards de dollars en DTS. La France et l’Espagne ont promis d’augmenter l’allocation de leurs DTS à 40 et à 50% mais le Congrès des États-Unis n’a toujours pas approuvé cet engagement de 20%.

De plus, il s’agit pour l’instant de promesses et non d’allocations réelles car il existe encore un problème dans les canaux de réallocations existants. En effet, le seul moyen de mobiliser ces DTS est d’en passer par deux fonds administrés par le FMI : le Fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (FRPC), et le Fonds fiduciaire pour la résilience et la durabilité (FRD), mais ces deux fonds combinés ne peuvent pas absorber les sommes suffisantes. Nous voulons donc pousser les pays à utiliser le modèle de capital hybride de la Banque africaine de développement.


Focus 2030 : Lors du concert Global Citizen Live organisé le 22 juin à Paris, le Président de la Banque mondiale, Ajay Banga, a annoncé l’adoption de clauses de suspension de la dette dans les contrats de prêts de la Banque en cas de catastrophes climatiques. Quel est l’intérêt de cette mesure et où en sommes-nous dans sa mise en œuvre ?

 

Friederike Röder :

Nos efforts tout au long de la campagne "Power our Planet" ont abouti à un engagement du président de la Banque mondiale Ajay Banga, pris sur scène à Paris aux côtés de la Première ministre Mia Mottley : intégrer dans les nouveaux contrats de prêts avec des petits pays insulaires une clause qui permet de suspendre le remboursement de la dette en cas de catastrophe naturelle. Ce nouvel instrument doit permettre aux pays victimes d’un choc climatique de se concentrer sur la réponse aux besoins urgents de leurs populations. La durée du remboursement du prêt est tout simplement prolongée. La clause n’a donc pas d’effet négatif pour le créancier et sur les marchés financiers.

La nécessité de ces clauses de suspension est apparue à l’origine à cause de la pandémie de COVID. Or, jusqu’à présent, les clauses ne s’appliquent qu’en cas de catastrophes naturelles telles que les tempêtes tropicales, mais elles devraient également s’appliquer aux pandémies, aux autres crises sanitaires et aux famines. Les outils adéquats existent. Il faudrait également inclure des clauses d’endettement dans les contrats existants (et pas seulement dans les nouveaux contrats). Surtout il faut également que d’autres créanciers les proposent. À ce jour, seuls la Banque mondiale, la Banque Européenne d’Investissement (BEI), la France, les États-Unis et le Royaume Uni ont prévu de les inclure.


Focus 2030 : La COP 28 sera la prochaine étape importante de la réforme de l’architecture financière internationale lors de laquelle le Fonds pertes et dommages devrait être officiellement lancé. Des tensions ont d’ores et déjà émergé entre les pays du G7, du G20 et les pays du G77 et la Chine concernant le futur fonctionnement du Fonds et l’entité qui devrait l’héberger (Banque mondiale vs. Nations unies). Selon vous, quelle serait la solution la plus souhaitable et quels principes devraient guider ce futur Fonds ?

 

Friederike Röder  :

La cinquième et ultime réunion du comité sur l’établissement du fonds sur les pertes et dommages s’est conclue par l’adoption d’un compromis, le samedi 4 novembre 2023. La création de ce fonds, qui avait été considérée comme le résultat majeur de la COP 27 en Égypte l’an dernier, doit servir à financer certaines répercussions excédant la capacité d’adaptation des populations vulnérables au changement climatique. Un fonds dédié devrait être créé auprès de la Banque mondiale si le compromis est en effet entériné à la COP.

Mais la grande question qui reste toujours ouverte est celle des financements pour les pertes et dommages. Les besoins sont estimés entre 400 et 580 milliards de dollars par an, en grande partie sous forme de dons.

Les financements existants semblent insuffisants au regard de ces estimations et des projections. Des chercheurs et des groupes de la société civile ont proposé diverses sources de financement innovantes : des taxes appliquées aux entreprises de combustibles fossiles, des taxes sur le transport maritime, une taxe sur les transactions financières ou un impôt sur les ultras-riches sont quelques-unes des options envisageables.

Par exemple, une taxe sur les transactions financières (TTF) similaire à la taxe française ou au stamp duty britannique, appliquée aux pays du G20 à un taux de 0,5% sur les actions, permettrait de lever entre 156 et 260 milliards d’euros par an. Les recettes pourraient même atteindre 400 milliards d’euros par an en élargissant cette TTF internationale aux transactions intra-journalières et au trading à haute fréquence.

Toutes ces mesures proposées sont conçues pour cibler les individus et les entreprises fortement émetteurs, plutôt que les personnes pauvres et vulnérables qui supportent actuellement une grande partie des coûts des pertes et des dommages.

Les pays riches devraient également supprimer progressivement leurs subventions aux combustibles fossiles, estimées à 440 milliards de dollars par an en 2021, et pourraient réorienter ces fonds pour financer les pertes et dommages.

En tout état de cause, le fonds pour les pertes et dommages ainsi que les autres mécanismes de financement doivent être nouveaux, prévisibles, adéquats, additionnels, accessibles et basés sur des subventions.

 

  • Les opinions exprimées par la personne interviewée ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.

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