Édito
Le monde traverse une période de turbulences sans précédent où crises géopolitiques, climatiques, économiques et sociales se conjuguent, affectant en fin de course les populations les plus vulnérables.
En 2024, près de 700 millions de personnes vivent sous le seuil d’extrême pauvreté, dont 500 millions dans les pays soutenus par l’Association internationale de développement (IDA), l’instrument de la Banque mondiale consacré aux pays à faible revenu. Le défi est immense : sans action concertée entre les nations, les conséquences des changements climatiques pourraient plonger à elles seules 130 millions de personnes supplémentaires dans l’extrême pauvreté d’ici 2030.
Dans ce contexte, l’IDA constitue un instrument unique pour répondre à ces défis. Première source de financement pour le développement des services sociaux de base des 78 pays les plus pauvres de la planète, elle agit pour réduire les inégalités et améliorer les conditions de vie de près d’1,5 milliard de personnes. Elle est ainsi l’une des pierres angulaires de la réalisation des Objectifs de développement durable. Mais répondre à l’ampleur des besoins nécessite des moyens financiers : pour sa 21ᵉ reconstitution, l’IDA lance un appel de 105 milliards de dollars.
Les 5 et 6 décembre prochains, à Séoul, les pays donateurs auront entre leurs mains la possibilité de changer la donne en finançant l’IDA à hauteur des besoins. Ce dossier spécial propose une analyse approfondie des enjeux autour de cette reconstitution, des chiffres clés, un suivi des engagements financiers et un aperçu des mobilisations de la société civile.
Décryptage.
Le monde traverse une période marquée par des crises profondes et interconnectées, qui affectent particulièrement les pays les plus fragiles économiquement. Conflits armés, endettement, catastrophes climatiques et pandémies se conjuguent, reportant d’autant la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD) dont seules 17 % des cibles sont susceptibles d’être atteintes d’ici 2030.
2,33 milliards de personnes vivent en situation d’insécurité alimentaire modérée ou grave, soit 29 % de la population mondiale. Dans le même temps, 3,3 milliards de personnes résident dans des pays où le remboursement des intérêts de la dette sont supérieurs aux dépenses en faveur de l’éducation ou de la santé, tandis que 685 millions n’ont toujours pas accès à l’électricité et près de 48 % de la population mondiale est privée de sécurité sociale.
Sans actions concertées, 590 millions de personnes vivront encore dans l’extrême pauvreté en 2030 et les inégalités entre les femmes et les hommes pourraient persister encore 134 ans.
Dans ce contexte, l’IDA, l’une des seules sources stables de financement des pays les moins avancés, a le potentiel de changer la donne.
L’Association internationale de développement (IDA) est l’institution de la Banque mondiale créée en 1960 pour financer le développement des 78 pays les plus pauvres de la planète. L’IDA vise la réduction des inégalités et l’amélioration des conditions de vie de près d’1,5 milliard de personnes, en finançant des projets de long terme sur des enjeux clés du développement durable tels que l’éducation, la santé, l’eau et l’assainissement, l’agriculture, le climat, les infrastructures et le renforcement des institutions.
Pour ce faire, l’IDA alloue des financements sous la forme de dons ou de prêts à des taux d’intérêt très faibles ou nuls (appelés "crédits”) qui ne varient pas en fonction des taux des marchés mondiaux : ainsi, pour de nombreux pays, l’IDA représente la seule source stable et abordable de financement des secteurs sociaux, qui attirent généralement peu les autres formes de financements.
Son financement repose sur un modèle hybride innovant, qui permet de multiplier jusqu’à 3,5 fois les fonds engagés par les États donateurs. Tous les trois ans, ces derniers sont ainsi appelés à contribuer financièrement aux cycles de “reconstitution” de l’IDA.
Lors de sa dernière reconstitution pour la période 2022-2025 (IDA-20), l’IDA a reçu des engagements de 23,5 milliards de dollars, multipliés sur les marchés financiers pour atteindre 93 milliards de dollars investis dans la lutte contre la pauvreté et les changements climatiques, un montant historique malgré la stagnation des financements accordés par les pays industrialisés.
Depuis sa création en 1960, l’IDA a mobilisé 560 milliards de dollars - soit près de 1 000 milliards de dollars d’aujourd’hui - qui ont contribué à soutenir plus de 100 pays et à transformer des centaines de millions de vies. L’impact de l’IDA est clair : en 64 ans, 36 pays sont sortis de ses programmes de financements dont certains qui sont eux-mêmes devenus donateurs, comme la Corée du Sud, l’Inde, la Chine ou encore la Turquie.
La 21e cycle de reconstitution de l’IDA pour la période 2025-2028 a pour objectif de « mettre fin à la pauvreté sur une planète vivable » en mettant notamment l’accent sur des enjeux-clés du développement : les femmes et les jeunes, la lutte contre les changements climatiques, l’accélération de la numérisation, la création d’emplois et la construction d’infrastructures.
Les besoins financiers pour mettre en œuvre ce programme s’élèvent au moins à 105 milliards de dollars, soit la reconstitution des ressources de l’IDA « la plus importante de tous les temps » souligne Ajay Banga, le président de la Banque mondiale.
Dans les faits, la mobilisation d’au moins 30 milliards de dollars est requise de la part des pays donateurs, qui seront ensuite démultipliés grâce au modèle de financement hybride de l’IDA pour atteindre 105 milliards de dollars. Compte tenu de l’inflation du dollar depuis la précédente reconstitution, ce montant représenterait in fine un maintien des financements à l’IDA par rapport à IDA-20. Dans un contexte d’endettement exponentiel et de menace climatique croissante, 19 dirigeants de pays africains ont plaidé en faveur d’une reconstitution finale à hauteur de 120 milliards de dollars pour répondre aux besoins en financements concessionnels du continent. Mobiliser ce montant impliquerait une contribution totale de 38 milliards de dollars de la part des pays donateurs.
Pour autant, compte-tenu de la contraction de l’espace fiscal de nombreux pays donateurs, certains observateurs s’interrogent quant à la capacité de l’IDA d’atteindre cet objectif, notamment la France, qui prévoit de réduire sa contribution à l’IDA de 14 % par rapport à IDA-20 selon le projet de loi de finances 2025. Selon les projections de Focus 2030, la France pourrait perdre son rang de 5e donateur à l’IDA, potentiellement déclassée au profit de la Chine.
En parallèle, plusieurs pays ont d’ores et déjà annoncé leurs contributions, toutes en hausse entre 37 % et 115 % par rapport à IDA-20, pour un montant total de 8,5 milliards de dollars.
Les États-Unis ont également promis d’augmenter leur contribution à hauteur de 4 milliards de dollars, soit une augmentation de 14,3 %. Cet engagement est toutefois susceptible d’être remis en cause après la prise de fonction de Donald Trump et à l’aune du nouvel équilibre politique au Congrès.
Les autres États donateurs auront jusqu’aux 5 et 6 décembre 2024 pour annoncer leurs contributions, date à laquelle se tiendra la conférence finale de reconstitution des ressources d’IDA-21, à Séoul en Corée du Sud.