Focus 2030
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3 questions à Juan Pablo Uribe, Directeur du Mécanisme de financement mondial pour les femmes, les enfants et les adolescents (GFF)

Publié le 7 mars 2024 dans Actualités

À l’approche du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, et dans le cadre de son dossier spécial consacré à l’état des inégalités dans le monde en 2024, Focus 2030 met en avant les personnalités qui participent chaque jour à la réalisation de l’égalité des genres.

 

Le Mécanisme de financement mondial (GFF) est un partenariat piloté par les pays, hébergé par la Banque mondiale, qui lutte contre la pauvreté et les inégalités par le biais de la promotion de la santé et des droits des femmes, des enfants et des adolescents.

Entretien avec Juan Pablo Uribe, Directeur du Mécanisme de financement mondial pour les femmes, les enfants et les adolescents (GFF)

Focus 2030 : Le Mécanisme de financement mondial pour les femmes, les enfants et les adolescents (GFF), un partenariat mondial hébergé par la Banque mondiale et créé en 2015, vise à combler les lacunes dans les domaines de la santé, de la nutrition et du bien-être des femmes, des enfants et des adolescents. Pouvez-vous nous faire part des tendances observées depuis le début de la pandémie de Covid-19, qui a eu un impact majeur sur la santé des femmes ? Observe-t-on un retour aux tendances d’avant la crise, voire des progrès ?

Juan Pablo Uribe : Nous observons une tendance qui illustre les progrès accomplis par les pays que nous soutenons, or ces améliorations sont menacées par des crises liées à des urgences sanitaires, à des conditions macroéconomiques, aux changements climatiques et à des conflits qui se chevauchent. Trop de perturbations risquent de faire reculer les pays sur les progrès qu’ils ont durement acquis, à moins que des mesures urgentes ne soient prises.

À l’heure actuelle, 250 millions de femmes et de jeunes filles qui souhaitent éviter une grossesse n’ont pas accès à des méthodes de contraception sûres et modernes. Aujourd’hui, 800 femmes mourront de causes évitables liées à la grossesse et à l’accouchement, et 40 000 filles de moins de 18 ans seront mariées, ce qui les privera de leur éducation et de leur liberté d’action.

Tant que ce problème ne sera pas résolu, le nombre de grossesses chez les adolescentes restera élevé et les complications pendant la grossesse et l’accouchement demeureront l’une des principales causes de mortalité chez les adolescentes en Afrique.

Dans de nombreux pays, ce revirement n’affecte pas seulement la situation actuelle. Il limite la croissance future, la résilience et la sécurité. Tous ces éléments sont nécessaires pour un avenir plus stable. La bonne nouvelle, c’est que nous constatons que plus les pays accordent la priorité à la santé des femmes et des filles, plus les progrès sont importants. Plus de 90 % des pays partenaires du GFF ont réduit la mortalité maternelle et la mortalité des enfants de moins de cinq ans. Des progrès importants ont également été réalisés dans d’autres domaines de la santé, notamment en ce qui concerne les taux de natalité chez les adolescentes, les retards de croissance et la mortinatalité. Les défis sont nombreux, mais je tiens à faire passer un message plus positif, à savoir que, d’après notre expérience, le changement est possible avec le financement, les engagements et les partenariats adéquats.

Focus 2030 : Une partie du travail du GFF consiste à mobiliser des fonds catalytiques en faveur de la santé des femmes, en s’appuyant sur des financements publics, privés et nationaux. Quels sont les principaux résultats tangibles obtenus ?

Juan Pablo Uribe : L’un des plus grands défis consiste à trouver des moyens d’allouer davantage de fonds à la santé et de veiller à ce qu’une part croissante de cet argent provienne des budgets nationaux et cible les besoins des femmes, des enfants et des adolescents. Grâce au partenariat entre le GFF et la Banque mondiale, les pays utilisent des montants relativement faibles de subventions du GFF, combinés aux ressources de la Banque mondiale, pour augmenter les financements destinés aux femmes, aux enfants et aux adolescents. Et cela fonctionne, le pourcentage moyen des fonds de l’IDA (le principal instrument de financement de la Banque mondiale pour les pays les plus pauvres) alloués à ces enjeux a augmenté de 40 % sur la période 2016-2023 par rapport aux années précédentes.

Nous utilisons notre financement catalytique et déployons nos ressources de trois manières différentes :

  • Tout d’abord, les données, les preuves et les connaissances qui constituent une plateforme commune de compréhension pour défendre des opportunités plus importantes pour les femmes et garantir que tous les partenaires s’alignent sur un plan prioritaire et chiffré dirigé par les pays.
  • Dans un second temps, mener des réformes du financement et des politiques de la santé. Par exemple, nous avons constaté que les changements législatifs entraînaient une incertitude quant aux services disponibles pour la santé des femmes, ce qui n’est qu’un des types d’obstacles que nous devons éliminer. Au Cameroun, le GFF et la Banque mondiale ont soutenu l’annulation d’une circulaire de 1980 qui interdisait aux filles enceintes de rester à l’école. Nous ne pouvons pas ignorer les discussions politiques en jeu pour les gouvernements, mais notre approche consiste toujours à travailler avec les gouvernements comme point de départ et à les rencontrer là où ils en sont sur les questions politiques. C’est essentiel pour que les pays puissent s’approprier les résultats et les rendre durables. Nous démontrons que la création d’un environnement favorable et la conduite de réformes peuvent ouvrir d’innombrables perspectives aux femmes, qu’il s’agisse de poursuivre leurs études, de trouver un emploi ou de contribuer activement à l’économie.
  • Enfin, soutenir l’expansion des services pour atteindre un plus grand nombre de femmes et de filles et travailler de manière intersectorielle. Dans le cadre de notre partenariat avec le Mozambique, par exemple, le pays a étendu les services de santé sexuelle et reproductive par le biais d’une plateforme de santé scolaire, en mettant particulièrement l’accent sur les adolescentes. Entre 2015 et 2022, le Mozambique a enregistré une réduction de 19 % de son taux de natalité chez les adolescentes. Nous cherchons maintenant à savoir comment utiliser cette plateforme pour le déploiement du vaccin contre le papillomavirus. Au Burkina Faso, par exemple, le financement du GFF vise à garantir que le personnel de santé atteigne les communautés dans les zones touchées par le conflit. Malgré les problèmes de sécurité, près de 10 000 agents de santé ont été formés en 2022 avec le soutien du GFF et de la Banque mondiale, contre 2 000 en 2021.

Bien entendu, nous ne pouvons pas le faire seuls et nous travaillons en partenariat étroit avec de nombreuses parties prenantes, notamment des acteurs publics, privés et de la société civile, ainsi qu’avec des agences des Nations unies. Nous approfondissons, par exemple, notre partenariat avec le FNUAP afin de coordonner les efforts déployés dans les pays en matière de planification familiale. Nous avons également élargi notre soutien aux OSC et aux jeunes afin qu’ils puissent s’asseoir à la table des négociations et pousser le gouvernement et le partenariat du GFF à aller plus loin.

Focus 2030 : Vous avez lancé votre campagne de reconstitution des ressources « Dessinons l’avenir » en juillet 2023, avec pour objectif de collecter au moins 800 millions de dollars d’ici la fin de l’année 2023. Un événement sera organisé en avril 2024 par le GFF lors des réunions de printemps de la Banque mondiale et du FMI, ce qui donnera l’occasion à plusieurs pays d’annoncer de nouvelles contributions. Des donateurs majeurs tels que le Canada, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l’Allemagne ou la Fondation Bill & Melinda Gates soutiennent déjà le GFF. Que faudra-t-il faire pour que le GFF puisse aider correctement les pays à répondre aux besoins de leurs population ?

Juan Pablo Uribe : Nous avons besoin d’un engagement sans faille, d’une attention particulière et d’un investissement continu dans la santé et le bien-être des femmes, des enfants et des adolescents. Nous avons besoin que tous les partenaires s’unissent pour soutenir les efforts et défendre des approches novatrices en matière de financement du développement durable. Nous savons qu’il y a beaucoup de priorités concurrentes et que les budgets sont serrés.

Le GFF est très rentable si l’on tient compte de l’effet de levier et de l’échelle qu’il permet d’atteindre : en travaillant avec des subventions catalytiques, le modèle permet d’augmenter l’ampleur et l’impact du financement de la Banque mondiale et du gouvernement pour la santé des femmes. En tant qu’approche pilotée par les pays, avec une concentration sur le budget et le système, le partenariat du GFF garantit que les donateurs sont alignés sur les priorités nationales, ce qui conduit à une meilleure coordination, à la mise en commun des financements, à des gains d’efficacité et à la durabilité. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : à ce jour, chaque dollar américain investi dans le GFF a généré une contrepartie de 7 dollars de la Banque mondiale, de 6,3 dollars d’autres bailleurs de fonds internationaux et de 9,3 dollars de ressources nationales des gouvernements.

Nous voulons nous concentrer sur des solutions pratiques et des réformes politiques ; nous voulons nous concentrer sur l’introduction de nouveaux modèles de co-investissement et de partenariat qui peuvent apporter un financement à l’échelle et briser les silos entre les secteurs.

Je suis convaincu que des progrès sont possibles si nous mettons en évidence à la fois le coût de l’inaction et les opportunités.

Beaucoup de travail nous attend, mais j’espère que nous pourrons approfondir notre partenariat avec des pays tels que la France, dont le leadership a été déterminant et inébranlable dans le soutien à l’amélioration de la santé et des opportunités pour les femmes, les adolescents et les populations marginalisées.



NB : Les opinions exprimées dans cette interview ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.