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3 questions à Peter Sands, Directeur exécutif du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme

Publié le 20 juin 2023 dans Actualités

Les 22 et 23 juin 2023, un Sommet pour un nouveau pacte financier mondial se tiendra à Paris, coorganisé par la France et l’Inde. De nombreux dirigeant·e·s d’États, de gouvernements, d’organisations internationales, de la société civile et du secteur privé seront invités à discuter des solutions de financement du développement mondial et de la transition climatique. 

Afin de décrypter les enjeux de ce Sommet, Focus 2030 souhaite recueillir et mettre en avant le point de vue d’organisations expertes dans leurs domaines respectifs et réalise une série d’entretiens avec des représentants de gouvernements, d’organisations internationales, d’ONG, de think tanks, etc. 

Découvrez le dossier spécial sur le Sommet, ainsi que l’ensemble des autres entretiens avec des expert·e·s, personnalités et acteurs de la solidarité internationale en amont de l’évènement.

3 questions à Peter Sands, Directeur exécutif du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme

Propos recueillis le 15 juin 2023 par Focus 2030.

Focus 2030 : De nombreux pays en développement font face à une crise de la dette, avec des niveaux de remboursement des prêts contractés atteignant des records en raison des effets combinés de la pandémie de Covid-19, des conséquences de la guerre en Ukraine et des changements climatiques. Cette situation réduit leur espace fiscal et affecte leur capacité à financer les politiques publiques visant à répondre aux besoins fondamentaux de leurs populations. Le Fonds mondial intervient dans plus de 100 pays : dans quelle mesure observez-vous des investissements en santé publique réduits  ?

 

Peter Sands : Après une massive réponse initiale à la pandémie de Covid-19, les dépenses publiques en santé se sont contractées en 2022, revenant à leur trajectoire d’avant la pandémie. De nombreux pays à revenu faible ou intermédiaire (PRFI) ont vu leur marge de manœuvre budgétaire se réduire, ce qui s’est traduit par une diminution des ressources consacrées à leurs systèmes de santé. La Banque mondiale prévoit que la capacité de dépense des gouvernements dans 18 PRFI sera inférieure aux niveaux d’avant la crise Covid-19 jusqu’en 2027. Cette situation désastreuse est principalement due à un contexte géopolitique difficile  : le durcissement de la politique monétaire dans les économies industrialisées et l’augmentation des primes sur les taux souverains, consécutive à l’invasion russe en Ukraine, ont accru les coûts d’emprunt dans les pays en développement. Les nouveaux financements provenant des marchés de capitaux internationaux et de la Chine ont fortement diminué. En outre, la guerre en Ukraine a contribué à une forte augmentation des prix des principaux produits alimentaires et énergétiques. Dans les pays à faible revenu, qui sont des importateurs nets de ces produits, le coût de la vie a augmenté en moyenne plus rapidement que le produit intérieur brut en 2022, ce qui a eu pour effet d’appauvrir la population. Ces tendances sont préoccupantes et menacent nos progrès vers l’éradication du sida, de la tuberculose et du paludisme.

En ces temps de crise, un partenariat solide entre les pays les plus affectés et le Fonds mondial est plus important que jamais. Nous avons identifié plusieurs moyens pour aider ces pays à retrouver leur capacité à augmenter le financement public de la santé. Tout d’abord, nous avons besoin d’un redéploiement rapide des droits de tirage spéciaux par l’intermédiaire du Resilience and Sustainability Trust du FMI afin d’aider les pays à faible revenu à réduire le fardeau de leur dette et à libérer des fonds pour l’atténuation des effets des changements climatiques et l’adaptation à ces changements, notamment dans le domaine de la santé. Nous appelons également à la mise en place d’un cadre permettant de rationaliser radicalement les financements mixtes, entre les banques multilatérales de développement et les institutions qui accordent des subventions telles que le Fonds mondial. Enfin, nous devons augmenter les marges de manœuvre fiscales en améliorant la conception et l’application des régimes fiscaux, notamment par la mise à disposition d’une assistance technique, d’une plus grande transparence et d’un renforcement des mécanismes visant à lutter contre la fraude ou l’évasion fiscale des entreprises multinationales et des grandes fortunes.


Focus 2030 : Certains pays donateurs du Fonds mondial mobilisent des ressources financières par le biais de mécanismes de financement innovants, tels que Debt2Health (échanges de dettes), des taxes sur les transactions financières, ou encore des taxes sur les billets d’avion. Dans quelle mesure ces formes innovantes de financement contribuent-elles à soutenir le Fonds mondial et à garantir des ressources durables et prévisibles à une organisation telle que la vôtre ?

 

Peter Sands : L’innovation financière est absolument essentielle pour attirer de nouvelles sources de financement et accroître l’efficacité des ressources actuelles afin de remplir notre mission : mettre fin au sida, à la tuberculose et au paludisme. L’une des priorités est de stimuler la mobilisation des ressources nationales par le biais de critères de cofinancement : les subventions du Fonds mondial sont généralement assorties d’une obligation pour le gouvernement bénéficiaire d’engager des ressources nationales supplémentaires équivalant à 15 à 30 % de la subvention allouée. Ce mécanisme s’est avéré remarquablement efficace pour encourager l’augmentation des investissements nationaux dans le domaine de la santé.

Un autre mécanisme est celui d’échanges de dettes. À ce jour, dix pays en ont bénéficié, générant plus de 232 millions de dollars pour les programmes publics de santé. En contrepartie, l’Australie, l’Allemagne et l’Espagne ont annulé la dette de ces pays.  Nous concevons et soutenons également des solutions de financements mixtes chaque fois que cela est possible. Par exemple, l’initiative régionale pour l’élimination du paludisme a été créée en partenariat avec la Banque interaméricaine de développement, la Fondation Bill & Melinda Gates, la Clinton Health Access Initiative et l’Organisation panaméricaine de la santé afin de garantir une combinaison de subventions et de crédits concessionnels pour des programmes conjoints visant à éliminer le paludisme en Amérique centrale et en République Dominicaine. Le Fonds mondial a également travaillé avec le Fonds Lives and Livelihoods qui, grâce à une collaboration entre la Fondation Bill & Melinda Gates et la Banque islamique de développement, offre aux pays la possibilité d’accéder à des financements à des conditions préférentielles pour la santé et les domaines prioritaires.

Aux côtés des gouvernements et des organisations internationales, le secteur privé joue également un rôle crucial dans la promotion de formes innovantes de financement. Nous facilitons les initiatives de collecte de fonds auprès des consommateurs, telles que (RED), qui travaille avec les marques et les organisations les plus emblématiques du monde pour développer des produits et des expériences portant la marque (RED) qui, lorsqu’ils sont achetés, déclenchent une contribution de ces entreprises en faveur du Fonds mondial. Ces contributions sont ensuite investies dans des programmes de lutte contre le VIH dans le monde entier. Dix ans après son lancement, (RED) a mobilisé plus de fonds privés que n’importe quelle autre initiative portée par une entreprise parmi les contributeurs du Fonds mondial. En Asie, le Fonds mondial s’est associé à l’Asia Pacific Leaders Malaria Alliance et à des partenaires du secteur privé pour soutenir M2030, une initiative de marketing grand public qui permettra de collecter des fonds auprès des consommateurs asiatiques pour soutenir les efforts d’élimination du paludisme dans la région.

Le prélèvement de solidarité sur les billets d’avion et d’autres taxes sur les transactions financières mis en place par la France profitent au Fonds mondial et à son partenaire Unitaid, permettant à ces deux organisations de mettre en place, de piloter et de développer des innovations dans la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme, telles que l’autotest VIH ou les nouvelles générations de moustiquaires pour lutter contre le paludisme. Ces mécanismes de financement innovants, lancés par la France, ont inspiré d’autres pays à entreprendre des initiatives similaires pour soutenir la santé mondiale.


Focus 2030 : Le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, qui se tiendra à Paris les 22 et 23 juin, vise à identifier des sources de financement pour répondre à la fois aux défis climatiques mondiaux et aux besoins essentiels des populations des pays en développement, y compris les besoins en matière de santé. Du point de vue du Fonds mondial, quelle est l’importance de combiner une réforme de l’architecture financière internationale avec une réponse aux changements climatiques ?

 

Peter Sands : Les changements climatiques exacerbent les défis sanitaires existants et en engendrent de nouveaux. La hausse des températures mondiales, l’évolution des conditions météorologiques et les événements climatiques extrêmes ont un impact direct sur les communautés vulnérables, entraînant une multiplication des maladies, une perturbation des systèmes de santé et des risques accrus d’épidémies. Par exemple, les changements climatiques peuvent augmenter le nombre de vecteurs de maladies, tels que les moustiques porteurs du paludisme ou de la dengue, et faciliter la propagation des maladies infectieuses. Les changements climatiques n’ont pas seulement une incidence sur la situation sanitaire, ils compromettent également les progrès socio-économiques, alimentent les inégalités et menacent les droits humains.

Pour relever efficacement ces défis interdépendants, nous devons continuer à développer et à déployer des mécanismes de financement innovants afin d’aider les pays les plus vulnérables à accéder aux ressources dont ils ont désespérément besoin pour s’attaquer aux inégalités en matière de santé et accélérer la lutte pour en finir définitivement avec les épidémies. Il est également vrai que la réforme des institutions multilatérales est nécessaire pour réduire leur fragmentation et améliorer leur efficacité. Toutefois, il est préférable de renforcer les mécanismes existants plutôt que d’en créer de nouveaux, tout en clarifiant le mandat de chaque institution et en mettant davantage l’accent sur l’optimisation des ressources dans l’allocation de l’aide extérieure. Nous espérons que le Sommet de Paris pour un nouveau pacte financier mondial garantira un engagement fort des dirigeants mondiaux dans cette direction.

 

  • Cet entretien a été traduit par Focus 2030 depuis l’anglais. Se référer à ce lien pour le consulter en version originale.
     
  • Les opinions exprimées dans cet entretien sont celles de Peter Sands et ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.

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