Publié le 20 janvier 2025
À l’heure de l’investiture de Donald Trump pour un second mandat, le secteur de la solidarité internationale retient son souffle aux quatre coins de la planète, craignant de nouveaux revers dans la lutte mondiale contre la pauvreté et les inégalités.
Au cours de son précédent mandat (2017-2021), l’administration Trump avait initié de nombreux chantiers susceptibles d’affecter durablement la réalisation des Objectifs de développement durable. Ainsi, les États-Unis avaient rétabli la « politique de Mexico », également connue sous le nom de « Global gag rule » ou « règle du bâillon mondial », visant à abandonner le financement des organisations internationales fournissant des soins ou des informations liés à l’avortement. Des procédures de retrait de l’Accord de Paris, de l’UNESCO et de l’OMS ont remis en question l’engagement des États-Unis envers le multilatéralisme, avant d’être abandonnées sous le mandat de Joe Biden.
Parmi les nombreux points d’interrogation figurent d’innombrables menaces telles que des coupes dans l’aide au développement (APD) dont la part américaine compte pourun tiers de l’APD mondiale, et de nouvelles orientations stratégiques susceptibles de compromettre l’accès à la santé, la défense des droits humains, la protection de la biodiversité et la lutte contre les changements climatiques. Décryptage.
Si la nouvelle administration américaine venait à mettre en œuvre des mesures similaires à celles prises par l’administration Trump précédente, les avancées en matière de santé maternelle, de droits des femmes et de prévention du VIH pourraient être compromises, tout particulièrement, aux États-Unis mais également dans de très nombreux pays en développement.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, le rétablissement et l’élargissement de la politique de Mexico paraissent inévitables, ce qui affecterait durablement l’accès aux contraceptifs pour des millions de femmes. L’USAID, l’agence de développement bilatérale américaine, est en effet le deuxième plus important fournisseur de contraceptifs dans les pays en développement, et joue un rôle central auprès de nombreuses organisations de planification familiale.
Le Fonds des Nations pour la Population (UNFPA), cible privilégiée de la précédente administration Trump, pourrait une nouvelle fois voir ses ressources diminuées si la politique de Mexico est réinstaurée. Dès 2017, l’administration Trump avait réduit de 70 millions de dollars le budget alloué à cette entité. L’administration Biden a rétabli ce financement et l’a plus que doublé, pour atteindre 160 millions USD en 2023. À noter que les États-Unis sont le plus grand contributeur aux efforts humanitaires de l’UNFPA.
Afin de pallier les coupes précédentes, des initiatives telles que SheDecides, lancée par les Pays-Bas en 2017, avaient permis de collecter 260 millions d’euros pour les programmes de santé sexuelle et reproductive. Cependant, dans un contexte de montée des discours conservateurs et anti-droitss, des coupes budgétaires généralisées des pays donateurs dans l’aide publique au développement (APD) au sein des pays de l’OCDE, et du contexte géopolitique actuel, il semble improbable que de nouveaux financements viennent compenser ces probables réductions des engagements financiers américains.
En savoir plus sur la santé sexuelle et reproductive et son financement à l’échelle internationale.
Sur le plan diplomatique, l’administration Trump pourrait compromettre les efforts visant à promouvoir l’égalité de genre au sein de forums multilatéraux tels que le G7, le G20 et l’ONU. Elle pourrait également chercher à réintégrer la Déclaration de consensus de Genève sur la promotion de la santé des femmes et le renforcement de la famille, qu’elle avait précédemment contribué à faire adopter. Soutenue par 36 pays, cette déclaration s’oppose à l’avortement et promeut une vision conservatrice de la famille et des droits des minorités sexuelles.
Par ailleurs, le gouvernement américain pourrait rediriger les financements vers des organisations locales et confessionnelles ultra-conservatrices, réorientant ainsi l’aide selon des considérations politiques et idéologiques. Des organisations de défense des droits des femmes et des personnes LGBT+ ont exprimé leurs préoccupations quant à l’influence croissante de ces groupes « anti-droits » et « anti-avortement » basés en Afrique et financés par des donateurs américains. Ces groupes conservateurs s’opposent activement aux droits des femmes, des personnes LGBT+ et à la santé sexuelle et reproductive dans les pays où ils opèrent, menaçant des décennies de progrès en matière d’égalité de genre et de droits humains.
Des restrictions budgétaires appliquées aux programmes d’éducation sexuelle et de planification familiale, pourraient entraîner une hausse dramatique de la mortalité maternelle dans de nombreux pays, ainsi que la propagation d’infections sexuellement transmissibles, y compris le VIH/sida.
L’élargissement du Global gag rule pourrait en effet entraver la prévention, le dépistage et l’accès aux traitements essentiels pour les infections liées au VIH, et provoquer une hausse des grossesses non désirées et des avortements à risque.
Historiquement soutenu tant par les Démocrates que par les Républicains, le programme PEPFAR (Plan présidentiel d’urgence pour la lutte contre le sida) serait lui aussi menacé de suppression. La précédente administration Trump avait plusieurs fois remis en cause son financement, prétextant des allégations infondées concernant des activités liées à l’avortement. Cette campagne de désinformation a persisté et, pour la première fois, le budget de l’exercice 2025 n’a autorisé qu’un renouvellement d’un an, contre les cinq ans habituellement accordés.
Toute décision de réduire ou de mettre fin au financement des initiatives de santé mondiale pourrait également compromettre les progrès réalisés dans la préparation aux pandémies. Alors que des négociations sont en cours sur un nouvel Accord mondial sur la prévention, la préparation et la riposte face aux pandémies, une obstruction des États-Unis risquerait de compromettre son adoption. En outre, des figures influentes susceptibles de rejoindre l’administration Trump ont régulièrement relayé de fausses informations sur les vaccins et les pandémies, mettant en péril l’adoption de politiques publiques fondées sur des preuves scientifiques.
En 2020, pendant la pandémie de Covid-19, les États-Unis ont suspendu leur financement accordé à l’OMS, reprochant une mauvaise gestion et une influence excessive de la Chine. Bien qu’un processus de retrait des États-Unis de l’organisation ait été amorcé, celui-ci a été abandonné par l’administration Biden en 2021. Cette démarche pourrait être relancée par D. Trump selon son entourage proche. En tant que plus grand contributeur gouvernemental au budget de l’OMS (environ 700 millions de dollars pour la période 2020-2021, dont 65 % sous forme de contributions volontaires), un tel désengagement aurait des conséquences majeures. Lors de la précédente suspension de ses financements, l’Allemagne avait temporairement comblé le déficit en augmentant son financement de 360 millions de dollars à 1,26 milliard de dollars, un effort difficilement renouvelable dans le contexte de contraction budgétaire généralisée observé parmi les nombreux pays donateurs, notamment européens.
La réélection de Donald Trump, climatosceptique notoire, fait craindre un nouveau désengagement des États-Unis, tant à l’échelle nationale qu’internationale en faveur du climat. Un telle dynamique pourrait donner lieu à l’annulation des projets ou politiques publiques à l’œuvre, à une dérégulation du droit de l’environnement ou encore à sortie de la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques. De 2017 à 2021, les États-Unis s’étaient retirés de l’Accord de Paris (avant de le réintégrer sous l’administration Biden), avaient promu l’exploitation des combustibles fossiles, y compris dans des zones protégées, et affaibli les réglementations environnementales. Un retour à ces pratiques pourrait compromettre les objectifs climatiques internationaux et les efforts de coopération contre le réchauffement climatique.
Selon le rapport Global Humanitarian Overview 2025, les besoins humanitaires à l’échelle mondiale atteignent un niveau sans précédent : près de 47 milliards de dollars sont ainsi nécessaires pour répondre aux besoins de près de 190 millions de personnes dans 72 pays. Dans ce contexte, une éventuelle réduction des financements américains inquiète tout particulièrement les acteurs humanitaires.
Les États-Unis, premier donateur humanitaire mondial, ont fourni plus de 54 milliards de dollars en financement humanitaire entre 2021 et 2024, soutenant de manière significative des acteurs majeurs tels que le Programme alimentaire mondial (PAM), le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Aussi, le possible retour aux pratiques de l’administration Trump 1.0, qui avait réduit les financements pour des agences clés des Nations unies, suscite de nombreuses craintes.
En 2023, les États-Unis étaient le plus important donateur pour la sécurité alimentaire, avec 4,2 milliards de dollars de contributions, soit presque quatre fois plus que l’Allemagne, deuxième bailleur le plus important. Les financements américains représentent 44 % de l’aide mondiale totale à la sécurité alimentaire et 48 % de l’aide à la nutrition. Alors que le Sommet Nutrition for Growth se tiendra à Paris les 27 et 28 mars prochains pour mobiliser la communauté internationale contre la malnutrition, l’engagement des États-Unis sera scruté avec attention.
De nombreuses autres questions demeurent en suspens, que l’on songe à la remise en cause des frontières (Canada, Groenland, canal de Panama), de l’ordre international, (ONU, G7, G20), à l’augmentation subite des droits de douane susceptible d’initier une guerre commerciale mondiale d’où aucune région du monde ne sortira gagnante, Afrique comprise, à la redéfinition de l’architecture financière internationale (Banque mondiale, FMI), à la résolution des conflits (Gaza, Ukraine, Soudan) et à l’expulsion envisagée de millions de personnes en situation irrégulière sur le sol américain.
Cet article sera régulièrement mis à jour pour refléter les nouvelles informations et déclarations au fur et à mesure qu’elles deviennent disponibles. |