Focus 2030
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Trois questions à Sophie Pouget, déléguée générale de la Fondation RAJA-Danièle Marcovici

Publié le 28 septembre 2023 dans Actualités , Décryptages

 

 

Entretien avec Sophie Pouget, déléguée générale de la Fondation RAJA-Danièle Marcovici

Focus 2030 : Le climat et les droits des femmes, deux grandes causes qui avancent trop lentement au regard de leur importance et urgence. Peu connu du grand public, les liens entre égalité de genre et crise climatique sont pourtant bien réels et commencent timidement à faire leur place dans les espaces de discussions multilatéraux. Selon vous, quels sont les principaux enjeux que soulève la question genre et climat ?

Sophie Pouget : Les femmes sont les premières victimes des changements climatiques. Lors des catastrophes naturelles telles que les sécheresses, tempêtes ou inondations, elles ont 14 fois plus de risque de mourir que leurs homologues et représentent environ 80% des réfugiées climatiques. Parmi ces femmes réfugiées, 1 femme sur 5 déclare avoir subi des violences pendant son parcours d’exil. Dans le monde, elles sont également les plus touchées par la pauvreté : sur 1,3 milliard de personnes vivant dans des conditions de pauvreté, près de 70% sont des femmes. Le réchauffement climatique constitue un risque majeur pour la vie et la santé de ces femmes.

Néanmoins, la place qu’elles occupent dans les domaines agricoles et alimentaires en fait des actrices de première ligne face à la crise climatique. Dans les communautés rurales, elles sont souvent responsables des activités d’élevage, de récolte, de pêche, de gestion des ressources naturelles tout en prenant soin des personnes à charge du foyer. Si elles représentent numériquement la majeure partie de la force de travail agricole mondiale, elles peinent à accéder au droit de propriété des terres ou encore aux ressources technologiques et financières. Responsables de la production alimentaire, leurs conditions de vie et de travail doivent donc être pérennisées et mises à l’abri des conséquences néfastes de la crise climatique.

L’adoption de lois et de politiques climatiques qui tiennent compte de la vulnérabilité des femmes est nécessaire pour apporter une réponse adaptée. Cela doit se traduire par leur participation directe et active aux prises de décision. Ces dernières sont factuellement sous-représentées parmi les comités d’experts, les représentants politiques ou encore les activistes au sein des grandes instances de décision. Si le lien entre femmes et climat commence à progressivement être connu du grand public et à gagner en importance lors des rencontres internationales, il doit encore être plaidé, encouragé et traduit par des mesures réellement contraignantes favorisant un profond changement de paradigme.

 

Focus 2030 : Adoptée en 1979, la Convention pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) est l’instrument juridique le plus complet en matière de droits des femmes. Le comité chargé d’évaluer les progrès des États en la matière s’est réuni pour la 84e session des 6 au 24 février et s’est penché sur la question de la représentation des femmes dans les instances de décision. Dans ce cadre, la Fondation RAJA-Danièle Marcovici a dressé un constat et formulé des recommandations pour promouvoir l’égalité de genre dans les instances de décision liées au climat. Pouvez-vous nous dire quelles sont ces recommandations ?

Sophie Pouget : 24 ans après l’adoption de la Convention pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, le constat est identique : promouvoir l’égalité de genre dans les systèmes de prise de décision relatifs à la lutte contre le changement climatique n’est pas seulement une nécessité mais une urgence planétaire. Aujourd’hui, alors que les femmes représentent 40% de la force de travail dans le secteur agricole et sont responsables de 60 à 80 % de la production de nourriture dans le monde, elles sont toujours sous-représentées dans les décisions portant sur les questions climatiques. Lors de la COP27 par exemple, sur 110 dirigeants, seuls 7 d’entre eux étaient des femmes.

Face à ces constats, la Fondation RAJA-Danièle Marcovici s’est engagée aux côtés d’Angela Martina Caretta [géographe féministe spécialisée sur la question du changement climatique], Carine Pionetti [chercheuse indépendante en écologie politique, spécialiste des questions de genre] et l’association SOL pour plaider en faveur d’une participation pleine et entière des femmes à la table des négociations.

 

Cette initiative, soutenue par la WECF et Care France, énonce notamment les recommandations suivantes à destination des États parties :

  • Mettre en place une participation égalitaire au sein des instances de haut niveau ;
  • Encourager la nomination de coordinatrices et coordinateurs nationaux pour l’égalité de genre ;

  • Proposer la création d’un poste de rapporteur spécial sur la justice climatique incluant la question d’égale représentation de genres au sein des sphères de décision relatif à la lutte contre le changement climatique ;

  • Parvenir d’ici 2030 à un quota égal ou supérieur à 30% de femmes au sein des institutions locales, nationales et internationales de direction en politique climatique ;

  • Faire respecter les droits fonciers des femmes ;

  • Opter pour des mesures politiques et législatives d’adaptation au climat genrées, inclusives et encadrées de leur conception à leur mise en œuvre afin de contribuer à la réduction des inégalités de genre ;

  • Mettre en place un système de financement sensible au genre ;

  • Du point de vue du secteur entrepreneurial, placer l’ODD 5 [« Égalité entre les sexes »] dans les stratégies de Responsabilité Sociale et Environnementale des entreprises ;

  • Promouvoir parallèlement un travail de sensibilisation du public et des femmes elles-mêmes, notamment aux enjeux de sécurité des femmes et des filles.

Une approche sensible au genre introduit de meilleures réponses à la crise climatique. En effet, les femmes adoptent des techniques innovantes et durables en agriculture ; agroforesterie, permaculture... Elles témoignent de véritables capacités de résilience et d’adaptation face aux changements climatiques. En termes de gouvernance et de conservation des ressources naturelles, l’égalité de genre favorise de meilleurs résultats : accroissement des rendements notamment dans les domaines de gestion de l’eau et des forêts, politiques environnementales plus strictes et transparentes, baisse des émissions de carbone. Ce travail transversal doit être effectué en prenant en compte les pays du Nord et du Sud ainsi que les populations issues des minorités autochtones et faire l’objet de sanction en cas de non-respect. Le soutien collectif et la mobilisation active de la société civile, des acteurs philanthropiques et des représentants politiques permettra d’engager une transition globale, écologique et sociale soucieuse du genre.

 

Focus 2030 : Les financements sont un des piliers essentiels au bon fonctionnement des organisations féministes ou œuvrant pour le droit des femmes et la mise en œuvre d’activités pour lutter contre les inégalités de genre. Pourtant, moins d’1% de l’aide publique au développement est dédiée au soutien de ces organisations dans le monde. On constate l’émergence de « fonds féministes » pour pallier le manque de financement alloué aux organisations et mouvements féministes. Comment la Fondation RAJA-Danièle Marcovici soutient ces organisations en France et dans le monde ?

Sophie Pouget : Financer des projets en faveur des droits des femmes contribue à promouvoir leur autonomisation et à encourager l’égalité de genre. Le premier financement est crucial : il peut avoir une véritable force d’impulsion pour les activistes féministes. Face à cette réalité, la Fondation RAJA-Danièle Marcovici s’apprête à lancer le Fonds Féministe pour le Climat afin de soutenir les femmes leaders souhaitant s’engager en faveur de la transition écologique et sociale. Nous sommes convaincues du rôle que les femmes ont à jouer dans la préservation des ressources naturelles et la mise en place de solutions concrètes. Ce fonds est par conséquent dédié aux toutes jeunes associations fondées et/ou dirigées par des femmes qui agissent pour l’environnement : gestion des déchets, promotion de pratiques agricoles durables, énergie, préservation des ressources naturelles, entrepreneuriat « vert », agriculture durable et alimentation… La fondation porte une attention particulière aux femmes porteuses d’innovations et de stratégies d’adaptation pour préserver les ressources naturelles et la biodiversité.

Le Fonds Féministe pour le Climat est un projet pilote que nous avons mis en place avec le soutien de la Fondation de France. Les critères d’éligibilité et la procédure d’instruction sont allégés. Le formulaire de demande de subvention, téléchargeable en ligne sur le site de la fondation, tient sur trois pages et requiert très peu de documents administratifs, ce qui le rend abordable pour des structures venant tout juste de se constituer. Les subventions, d’un montant symbolique, ont vocation à donner un « coup de pouce » à des structures très peu financées, leur permettant ainsi de se familiariser avec la levée des fonds et les relations avec un bailleur.

À la réception de la subvention, les associations bénéficient d’une grande liberté d’utilisation des fonds. Il s’agit d’un véritable parti pris : faire confiance entièrement, pour permettre à de nouveaux acteurs du changement d’émerger et faire la différence sur les enjeux femmes et climat.

La somme accordée à ces associations est un premier coup de pouce qui permet d’amplifier le plaidoyer genre et climat par la voix de ces femmes leaders et qui contribue à réduire les freins que rencontrent ces dernières lors du lancement de leur projet.

 

 

Consultez ce lien pour découvrir le dossier droits des femmes de Focus 2030 dans son intégralité.

Les opinions exprimées dans cet entretien ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.