Publié le 6 mars 2024 dans Actualités
À l’approche du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, et dans le cadre de son dossier spécial consacré à l’état des inégalités dans le monde en 2024, Focus 2030 souhaite mettre en avant les acteur·rice·s qui participent chaque jour à la réalisation de l’égalité des genres. |
Depuis 2006, la Fondation Raja-Danièle Marcovici travaille à la promotion et à l’émancipation des femmes en France et à travers le monde.
Focus 2030 : La Fondation-RAJA Danièle Marcovici est à l’origine d’une nouvelle initiative, la création de la « Coalition pour une Philanthropie Féministe (CPF) », soutenue par un groupe de bailleurs de fonds pour remédier au sous-financement de l’égalité de genre par la philanthropie. Les objectifs de cette coalition, dont Focus 2030 fait partie, consistent à promouvoir l’égalité de genre au sein du secteur de l’intérêt général, mobiliser davantage de ressources et in fine accroître l’impact et l’influence des mouvements féministes. Pouvez-vous nous en dire plus sur les objectifs de cette coalition et les dynamiques à l’œuvre ?
Sophie Pouget : À ce jour, l’égalité de genre est sous-financée autant par les pouvoirs publics que par la philanthropie française, alors même que c’est un facteur de croissance pour la société.
Face à ce constat, la Coalition pour une Philanthropie Féministe poursuit trois objectifs. D’abord, la coalition agit afin de promouvoir l’égalité de genre et les droits des femmes en donnant davantage de visibilité à ces enjeux au sein de la philanthropie française, notamment par un partage de connaissances et d’expertise des bailleurs de fonds féministes. Ensuite, la coalition a pour ambition de mobiliser pleinement les ressources financières en faveur de l’égalité, en améliorant et coordonnant les financements privés en faveur des droits des femmes. Enfin, elle vise à augmenter l’impact, en mutualisant les expertises et coordonnant des actions communes. Tout cela, la coalition le porte avec une conviction forte : c’est par des alliances et des actions collectives qu’il est possible d’agir de manière véritablement transformative !
Pour illustrer concrètement les choses, une des actions de la coalition consiste à établir une cartographie des financements privés engagés en faveur de l’égalité de genre et des droits des femmes, afin d’informer mais aussi d’inciter les mécènes qui ne prennent pas en compte ces sujets à le faire. La coalition initie donc une étude destinée à établir un état des lieux, en France, de la place que l’égalité de genre et les droits des femmes occupent dans la stratégie de financement des bailleurs de fonds privés. L’objet est d’identifier les fonds et fondations français.e.s qui s’engagent sur nos sujets, leurs caractéristiques et la part de leur budget consacrée à l’égalité de genre, autant dans leurs actions menées en France qu’à l’international.
Si je devais résumer l’ambition première de cette nouvelle dynamique, je dirais qu’il s’agit d’élargir et de promouvoir des champs d’action différents et complémentaires afin d’avoir une vue à 360° des causes féministes dans toute leur diversité.
Induire des changements significatifs pour les femmes et les filles à travers le monde est aujourd’hui une nécessité et, pour cela, une approche collective, en coalition, est indispensable.
Focus 2030 : Selon vos estimations préliminaires, qui finance l’égalité de genre en France ? Quels sont les principaux domaines soutenus ? Quel sont les modes d’intervention privilégiés, par exemple entre activités de terrain, recherche et plaidoyer, national vs international… ?
Sophie Pouget : Avant tout, ce sont les institutions publiques qui financent l’égalité de genre en France et dans le monde. Il faut noter, à ce sujet, l’annonce récente de coupes budgétaires dont l’annulation d’autorisations d’engagement à hauteur de 7 millions d’euros pour le ministère de l’égalité et 742 millions d’euros pour l’aide publique au développement (décret 2024-124 du 21 février 2024). Or, en matière de financements internationaux, on sait déjà que seulement 0,55 % de l’aide internationale a ciblé les organisations de défense des droits des femmes en 2021 [1]. La revue à la baisse de ces budgets est très préoccupante.
Il y a également les bailleurs privés et, parmi ceux-ci, les membres de la Coalition pour une Philanthropie Féministe. Celle-ci regroupe la Fondation BNP Paribas, la Fondation CHANEL, la Fondation des Femmes, la Fondation de France, la Fondation Kering, la Fondation Médecins du monde, la Fondation RAJA-Danièle Marcovici, la Fondation pour la Recherche sur l’Endométriose, le Fonds L’Oréal pour les Femmes, le Fonds pour les Femmes en Méditerranée, la Mirova Foundation et bien sûr l’association Focus 2030.
La plupart de ces bailleurs agissent en cofinançant des actions de terrain déployés par des organisations de la société civile, en menant ou en soutenant des actions de plaidoyer et de recherche. Toutefois, ces bailleurs sont trop peu nombreux. Nous ne pouvons pas nous contenter de bailleurs spécialisés en matière d’égalité de genre et défense des droits des femmes. Nous avons besoin de promouvoir une approche globale et transversale permettant à d’autres bailleurs de se mobiliser, afin de soutenir mieux et plus efficacement les organisations féministes, encourager leur renforcement et leur mise en réseau. C’est pour cela que nous souhaitons impliquer des acteurs tournés vers la solidarité internationale, la gestion de crise et la transition écologique.
Focus 2030 : Votre Fondation a récemment initié des activités mettant en avant le lien entre genre et climat. Pouvez-vous nous en dire plus et nous faire part des autres priorités de la Fondation-RAJA Danièle Marcovici pour les années à venir ?
Sophie Pouget : La Fondation œuvre à promouvoir le rôle des femmes dans la mise en place de solutions durables. Au cours des dernières années, notre programme Femmes & Environnement a permis de financer des solutions innovantes, et déployer des activités de plaidoyer en faveur d’une meilleure prise en compte du genre dans les actions en faveur de l’environnement et du climat. Depuis sa création lors de la COP21 en 2015, plus de 80 projets ont ainsi été soutenus dans 29 pays, offrant ainsi un appui à des dizaines de milliers de femmes. Près de 70 % des projets soutenus dans le cadre de ce programme soutiennent l’interface entre les femmes et l’agroécologie : il s’agit d’initiatives en faveur de modes de production plus écologiques, partiellement ou totalement portées par des femmes.
Nous venons de publier un rapport faisant le point sur ce programme et comportant une étude réalisée par la chercheuse en écologie politique et droits des femmes, Carine Pionetti. Ce travail est basé sur une analyse transversale d’une dizaine de projets soutenus par la Fondation RAJA-Danièle Marcovici. Les conclusions de l’étude mettent en lumière les différents facteurs de réussite des projets visant à soutenir la transition vers une agroécologie féministe et recommandent aux bailleurs de fonds de s’investir sur ces sujets, tant sur le développement d’un narratif en faveur de l’égalité et la prise en compte du genre que sur le soutien à des initiatives promouvant la voix et le leadership des femmes en matière de transition écologique.
C’est dans cette logique d’approche intersectionnelle des enjeux environnementaux que la Fondation a également lancé un Fonds Féministe pour le Climat. Il s’agit d’un soutien financier auprès d’organisations de la société civile fondées ou dirigées par des femmes, opérant avec un budget de moins de 20 000 € et permettant aux femmes de jouer un rôle actif dans la lutte contre les changements climatiques. En 2023, 12 associations ont été soutenues dans plusieurs pays dans le monde (Bangladesh, Colombie, France, Kenya, Pérou, Salvador, Tunisie, Ouganda).
Parce qu’il ne peut y avoir de développement durable sans une pleine participation des femmes, le lien entre genre et climat va rester une des priorités de la Fondation. Toutefois, cela ne nous empêchera pas de concilier cet engagement avec d’autres priorités, dont la lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles, l’accès à l’éducation pour les jeunes filles, l’opportunité des chances et l’égalité professionnelle pour les femmes, ainsi que la lutte contre les mouvements anti-droits.
Notre démocratie repose sur un Etat de droit qui garantit à toutes et tous des droits humains universels. Les femmes et les filles, et toutes les minorités de genre, doivent pouvoir les exercer librement et pleinement, partout et à tout moment.
NB : Les opinions exprimées dans cette interview ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.
[1] Féministes en Action, Soutenir les organisations féministes : un investissement nécessaire et efficace pour faire avancer les droits des femmes, 2023. https://feminaction.fr/financement-organisations-feministes/