Publié le 13 octobre 2022 dans Actualités
La guerre en Ukraine et ses conséquences en cascade furent au cœur des débats de la 77e session de l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU) qui se déroulait du 13 au 27 septembre 2022.
Si tous les acteurs du développement s’accordent sur le fait que seules des actions multilatérales ambitieuses seraient en mesure de résoudre les crises alimentaire, sanitaire, économique, énergétique et climatique simultanément à l’œuvre, cette AGNU fut de ce point de vue décevante à plus d’un titre. Le conflit tend à fracturer durablement la communauté internationale à l’heure où l’unité devrait s’imposer pour accélérer l’atteinte des Objectifs de développement durable particulièrement mise à mal. Décryptage des grands moments de cette AGNU pas comme les autres.
À la tribune de l’AGNU, les appels à mettre fin à la guerre en Ukraine se sont mutlipliés, le Japon et le Cameroun invitant la Russie et l’Ukraine à négocier pour trouver une solution quand l’Inde pronaît le dialogue et la diplomatie comme seules issues au conflit. Le Secrétaire général, Antonio Guterres, a inexorablement exhorté les pays à agir en commun pour apaiser les tensions. De nombreux États membres ont dénoncé les infractions aux principes de la Charte des Nations unies, notamment au respect de la souveraineté et de l’intégrité des nations (dont la France), ainsi que les violations des droits humains et du droit international humanitaire.
De nombreux pays se sont exprimés sur la posture de la Russie dans le conflit et son discours sur l’éventuelle utilisation d’armes nucléaires, en contradiction avec son rôle de Membre permanent (P5) du Conseil de sécurité et non conformément à la Déclaration conjointe à laquelle elle a adhéré pour prévenir la guerre nucléaire et éviter les courses aux armements. Le Nigeria a notamment lancé un appel en faveur d’un monde sans armes nucléaires et à l’adoption d’un traité sur le commerce des armes et alerte des risques qu’un tel conflit peut avoir sur la capacité à travailler en commun et à résoudre les autres conflits persistants dans le monde. La ministre des Affaires étrangères suédoise a rappelé que les pays de l’Initiative de Stockholm pour le désarmement nucléaire ont présenté des idées pour remettre le désarmement et la non-prolifération des armes en haut de l’agenda international. La France, le Canada et les États-Unis ont également suggéré de limiter le recours au droit de veto au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, notamment en cas de crimes de masses (tribune de la France), ou d’en réduire le pouvoir (tribune du Canada).
Conséquences sur la sécurité alimentaire mondiale et engagements
La grande majorité des États se dit également préoccupée par la sécurité alimentaire et notamment les capacités d’accès aux engrais. Le Secrétaire général des Nations unies et la Turquie ont été félicités (Italie, Suède, France) pour la mise en place de l’Initiative de la mer Noire pour l’acheminement de grain et d’engrais et permettre ainsi la stabilisation des prix des denrées alimentaires. À travers cette initiative, la France et l’Allemagne ont annoncé une contribution à hauteur de 14 millions de dollars chacune au Programme alimentaire mondial (PAM) pour mener à bien une opération visant à acheminer 50 tonnes de blé offertes par l’Ukraine à la Somalie et à l’Éthiopie et pallier l’aggravation de la crise alimentaire à l’œuvre.
Santé mondiale et préparations aux pandémies
Les chef·fe·s d’État ou leur représentant·e ont évoqué la nécessité de repenser l’architecture de la santé mondiale et renforcer les capacités collectives pour faire face aux futures pandémies. La Corée tiendra une réunion ministérielle de la Global Health Security Agenda (GHSA) à Séoul en novembre 2022 et hébergera en parallèle un bureau de coordination visant à réunir les employés des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) américain et européens et de l’Association des nations d’Asie du Sud Est (ASEAN).
Les États membres ont aussi largement réitéré leur volonté de faire avancer l’élaboration et les négociations en faveur d’un accord international sous l’égide de l’OMS pour renforcer la prévention, la préparation et la riposte aux pandémies. Un certain nombre d’États ont par ailleurs exprimé le souhait qu’il soit juridiquement contraignant (Kenya). Un organe intergouvernemental de négociation créé en décembre 2021 est chargé de présenter un texte à l’Assemblée mondiale de la santé en 2024.
Initiatives et engagements
En marge de l’AGNU, le 21 septembre, gouvernements, organisations de la société civile et secteur privé étaient appelés à se mobiliser en faveur du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Ce partenariat international a recueilli des promesses de dons totalisant 14,25 milliards de dollars US pour financer ses activités au cours des trois prochaines années, une mobilisation jamais observée par le passé mais en deçà des besoins (en savoir plus sur les conclusions de cette 7e reconstitution). La France, deuxième donateur historique, a annoncé une contribution de 1 596 millions d’euros, soit 300 millions d’euros de plus qu’en 2019 (+23 %). Seuls deux pays du G7 n’ont pas annoncé de contribution à cette occasion, le Royaume-Uni et l’Italie.
Bailleur historique d’Unitaid, la France a également annoncé une nouvelle contribution d’un montant de 255 millions d’euros pour la période 2023-2025 au cours de la conférence de reconstitution du Fonds mondial. Le Canada a aussi fait part d’une nouvelle contribution de 25 millions de dollars canadiens destinée à la lutte contre la pandémie de Covid-19 dans le cadre de l’Accélérateur ACT.
Au cours duForum Génération Égalité qui s’est tenu à Paris du 29 juin au 2 juillet 2021, réunissant représentant·e·s de gouvernements, d’ONG, du secteur privé et d’organisations de la jeunesse, plus de 40 milliards de dollars et 1,000 engagements ont été pris pour faire progresser l’égalité femmes-hommes dans le monde. |
Cette AGNU était l’occasion de dresser un premier bilan des engagements pris au Forum Génération Égalité. Au cours d’un évènement parallèle en présence de la Directrice générale d’ONU Femmes, Sima Bahous, et de la ministre française de l‘Europe et des Affaires étrangères, Catherine Colonna, ONU Femmes a rendu public le premier rapport de redevabilité du forum ainsi qu’une plateforme en ligne contenant plus d’informations.
Initiatives et engagements
De nouvelles initiatives ont également été prises en faveur des droits des femmes. C’est le cas du lancement de l’Alliance pour les mouvements féministes, une initiative multipartite de collaboration initiée par le Gouvernement du Canada et la Fondation Ford en soutien aux mouvements féministes, ou encore la résolution de la France à renouveler son appui au Fonds de soutien aux organisations féministes (FSOF) lancé en 2020. Par ailleurs, une nouvelle « Plateforme de l’AGNU pour les femmes dirigeantes » s’est réunie pour la première fois, rassemblant des femmes cheffes d’État et de gouvernement, pour mettre en avant le leadership politique des femmes. Le Mexique, co-organisateur du Forum Génération Égalité en 2021, a annoncé la mise en place d’un nouveau fonds pour l’autonomisation économique des femmes en Amérique Latine et dans les Caraibes, le “Fonds Ellas”, doté de 50 millions de dollars. À l’occasion d’un évènement parallèle organisé par les membres du groupe ”Feminist Foreign Diplomacy”, le Chili et la Colombie ont rappelé leur récente adoption d’une politique étrangère féministe. Le Libéria a également fait part de sa volonté de se joindre à cette dynamique.
Sommet sur la transformation de l’éducation
En marge de l’AGNU, un sommet de haut niveau sur la transformation de l’éducation s’est tenu les 16, 17 et 19 septembre 2022 sous l’égide du Secrétaire général de l’ONU et l’UNESCO (Communiqué de presse de l’évènement). Ce sommet s’inscrit dans le « Programme Commun d’Action » du Secrétaire général des Nations unies, et vise à mettre en place des actions pour atteindre l’ODD 4 sur l’éducation et relever les défis actuels à travers notamment l’éducation aux enjeux climatiques, à la solidarité et à la paix.
La jeunesse était au cœur des débats, en témoigne notamment la publication d’une « Déclaration de la jeunesse ». La première journée dirigée et organisée par des jeunes a par ailleurs permis aux jeunes de formuler des recommandations et demandes collectives à destination des décideurs politiques et organisations internationales pour transformer l’éducation. Au total, les appels à l’action se sont concentrés sur six thématiques : l’éducation dans les situations de crises, la crise de l’apprentissage, l’éducation au changement climatique, le financement, l’égalité de genre et le numérique.
Initiatives et engagements
Parmi les initiatives nées de cette AGNU, mentionnons notamment la Facilité internationale de financement pour l’éducation (IFFEd) qui a vocation à améliorer le financement de l’éducation dans le monde ou encore la Gateways to Public Digital Learning qui vise à garantir un accès équitable à l’apprentissage numérique et à ses ressources.
Par ailleurs, l’Allemagne s’est engagée à verser 10 millions d’euros à l’organisation Education cannot Wait pour soutenir les étudiant·e·s ukrainiens et le Premier ministre japonais, Fumio Kishida a déclaré que le Japon endosserait le rôle de « Champion de l’éducation » afin de promouvoir la coopération à travers le développement des ressources humaines dans le secteur éducatif.
La « triple crise planétaire »
À quelques semaines de la COP27 qui se déroulera du 7 au 18 novembre en Égypte, les enjeux climatiques étaient au premier plan des allocutions des États membres. La 77e session de l’AGNU fait suite au 50e anniversaire de la mise en place du Programme des Nations unies pour l’environnement (UNEP@50), de Stockholm+50 et de la Conférence sur les Océans tenue à Lisbonne début 2022.
De nombreux pays ont rappelé que les engagements pris lors des dernières COP et conférences ne sont pas toujours suivis d’effets. C’est le cas du « Fonds vert pour le climat », créé pour soutenir les pays en développement à faire face à l’urgence climatique à hauteur de 100 milliards de dollars par an. La Finlande a appelé les États à concrétiser les engagements pris à la COP26 de Glasgow visant à doubler les montant alloués au financement de l’adaptation prévu par le Fonds. Le Chancelier allemand a par ailleurs déclaré qu’il honorerait son engagement à soutenir les pays en développement dans la lutte contre le changement climatique. La France a de son côté appelé le G7 à montrer l’exemple. Pour le Président français, la priorité doit être celle de l’éradication du charbon et il se dit prêt à investir dans le partenariat JET pour une transition énergétique juste en Afrique.
Un sentiment d’injustice s’est par ailleurs fait sentir de la part d’un grand nombre de représentant·e·s d’État face aux impacts du changement climatique que subissent les pays les moins pollueurs. Il ressort notamment que les pays industrialisés doivent prendre leur part de responsabilité afin de soutenir les pays à revenu faible et intermédiaire dans leur lutte contre les effets du réchauffement climatique et ils sont appelés à réduire leurs émissions et faire preuve d’exemplarité.
Rappelons qu’en mars 2022, un rapporteur spécial sur les changements climatiques a été nommé au sein du Conseil des droits de l’Homme afin de rendre visibles les impacts de cette crise.
Quant aux sommets à venir, le Canada accueillera du 7 au 19 décembre 2022 la COP15 sur la biodiversité sous l’égide de la Chine, la France coorganisera avec le Costa Rica la Conférence des Nations unies pour les Océans en 2025 et la Mongolie accueillera la 17e session de la Conférence des parties à la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CCD COP17) en 2026.
Lutte contre les inégalités
Par la voix de son président, mais également de ses membres (Kenya, Nigeria), l’Union africaine (UA) a réitéré son appel à la réallocation partielle des droits de tirage spéciaux émis par le Fond monétaire international en août 2021, dont les pays les plus vulnérables n’ont reçu qu’une infime partie. Le président de la République française, Emmanuel Macron, appelle ainsi les pays du G20 à allouer jusqu’à 30 % de leurs droits de tirage spéciaux aux pays à faible revenu. De même, l’UA appelle le G20 à mettre en œuvre et étendre le cadre commun de suspension et rééchelonnement des dettes des pays à revenu intermédiaire mis en place pour la relance post-covid. En Amérique latine, la Bolivie a plaidé pour la suspension des dettes, estimant qu’elles ne permettent pas l’implémentation de politiques sociales intégrées et durables.
Afin d’apporter des solutions communes aux inégalités croissantes, un Sommet social mondial aura lieu en 2025 tel que prévu par « Notre Programme Commun » et de nouveaux indicateurs de richesses seront pensés pour compléter le PIB, à l’image du « Multidimentional Vulnerability Index » conçu par le PNUD.
Sécurité de l’espace numérique
Face aux avancées technologiques et la croissante digitalisation des échanges, certains États membres ont pointé la nécessité de lutter contre la désinformation, protéger la liberté d’expression, et stopper les violences en ligne. Ils ont également rappelé l’importance de combler la fracture numérique entre les pays. Prévu pour adoption en 2023, un « Pacte numérique mondial » est en cours d’élaboration par les Nations unies et devrait « définir des principes partagés pour un avenir numérique ouvert, libre et sécurisé pour tous ».
Un grand nombre de représentant·e·s des États membres se sont aussi dit préoccupés par la protection des citoyens dans l’espace numérique en matière de droits humains et face aux cyberattaques. Des discussions ont eu lieu sur l’adoption d’une « Convention de Genève sur le numérique », impliquant également le secteur privé et les entreprises technologiques qui doivent endosser un rôle plus important en matière de droits humains et de protection humanitaire dans l’ère du digital.
Plusieurs États membres (dont le Japon, les Philippines, la Roumanie, la Mongolie, le Cameroun, et l’Islande) ont apporté leur soutien au rapport « Notre Programme Commun » du Secrétaire général des Nations unies, définissant une vision et un plan d’action commun pour les années à venir afin de repenser la coopération, réduire les inégalités, et ancrer le futur de l’humanité dans la confiance, la prospérité et la paix. Le Sommet du Futur en 2024 sera l’occasion d’adopter un certain nombre d’initiatives mondiales et de relancer la dynamique pour atteindre les Objectifs de développement durable. L’Agenda 2030 a été réaffirmée comme feuille de route commune et certains États proposent de mettre en place des Centres Régionaux pour les ODD.
Pour une démocratisation de la gouvernance mondiale plus juste et inclusive, une majorité des pays se sont dit en faveur de la réorganisation du système multilatéral. En outre, il a été mentionné une volonté de réformer la gouvernance du système financier multilatéral qui sera l‘une des priorités du G20 présidé par l’Inde en 2023. L’Union africaine demande notamment l’octroi d’un siège au sein du G20, à l’instar du siège octroyé à l’Union européenne.
Les prises de parole ont également soulevé la question de la représentativité de tous les continents qui doit faire partie du projet de réforme de l’ONU, et notamment du Conseil de sécurité avec un élargissement du nombre de sièges pour les membres permanents et non-permanents (Nigeria, Lettonie, Kenya, États-Unis, Allemagne, RDC, France, Canada, l’Inde, Arabie Saoudite). L’Union africaine demande l’octroi de deux sièges supplémentaires de membres permanents, ce qui leur permettrait d’accéder à certains droits, dont celui de veto.
Comme chaque année, en marge de l’AGNU, la Fondation Bill & Melinda Gates organisait son évènement Goalkeepers pour donner de la visibilité aux acteurs du changement. En introduction, la Première ministre des Barbades, Mia Mottley, a plaidé pour une réforme des institutions financières internationales afin de lutter contre l’endettement massif des pays à faible revenu, en particulier les plus vulnérables aux conséquences du changement climatique. L’évènement est également revenu sur les principaux enseignements du rapport Goalkeepers 2022.
Cette année le prix« Global Goalkeeper » a été attribuée à Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne, pour son engagement dans la réponse mondiale à la crise sanitaire. Trois activistes ont également été récompensées : Dr. Radhika Batra, co-fondatrice de l’ONG Every Infant Matters, Vanessa Nakate, activiste pour la justice climatique en Ouganda, et Zahra Joya, journaliste et fondatrice de l’agence Rukhshana Media spécialisée dans la couverture des problématiques rencontrées par les femmes afghanes.