Focus 2030
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3 questions à Dr. Sania Nishtar, Directrice générale de Gavi, l’Alliance du Vaccin

Publié le 21 mars 2025 dans Actualités

La prochaine édition du Sommet Nutrition for Growth, organisée par la France les 27 et 28 mars 2025 à Paris, constitue une occasion unique d’engager la communauté internationale dans une lutte plus efficace contre la malnutrition. En amont de ce Sommet international, Focus 2030 consacre un dossier spécial aux enjeux de (mal)nutrition dans le monde et met en avant les points de vue et attentes d’organisations, de personnalités ou d’acteurs du domaine de la nutrition.

 

 

3 questions à Dr. Sania Nishtar, Directrice générale de Gavi, l’Alliance du Vaccin

Focus 2030 : La nutrition et la vaccination sont étroitement liées, comme l’ont montré les résultats d’une étude récente menée conjointement par Gavi et la Fondation Eleanor Crook. En quoi le fait de s’attaquer simultanément à ces deux enjeux pourrait-il changer la donne en matière de santé mondiale ?

Dr Sania Nishtar : En tant que ministre pour la protection sociale dans mon pays d’origine, le Pakistan, j’ai mis en place un programme national de transferts conditionnels de fonds appelé Ehsaas Nashonuma, qui combinait des interventions en matière de santé et de nutrition pour les enfants issus de familles pauvres. Grâce à ce programme, j’ai pu constater personnellement les résultats obtenus sur le terrain en adoptant une approche holistique de la vaccination et de la nutrition.

La malnutrition affaiblit le système immunitaire, rendant les enfants plus vulnérables aux infections. Les maladies infectieuses, quant à elles, épuisent les réserves nutritionnelles et perpétuent ainsi un cycle de mauvaise santé.

Une approche conjointe de la vaccination et de la nutrition n’est pas seulement une opportunité, c’est une nécessité.

De plus en plus de données mettent en évidence les interactions physiologiques entre la malnutrition et les maladies infectieuses. Les enfants souffrant de malnutrition réagissent moins efficacement aux vaccins car leur système immunitaire peine à mettre en place une réponse adéquate. Inversement, la vaccination prévient les infections qui exacerbent la malnutrition, telles que les maladies diarrhéiques et la rougeole. Cette interaction montre pourquoi l’intégration de ces interventions peut être un levier majeur en matière de santé mondiale. En veillant à ce qu’un enfant soit bien nourri, nous renforçons également l’efficacité des vaccins, ce qui offre à chaque enfant une meilleure chance de survivre et de s’épanouir.

Il existe manifestement un lien étroit entre la mise en œuvre des programmes de vaccination et de nutrition sur le terrain. Les personnels de santé de première ligne fournissent souvent les deux services ensemble, en s’appuyant sur les mêmes structures communautaires, les mêmes chaînes d’approvisionnement et les mêmes points de contact. Ce que nous cherchons à faire maintenant, c’est d’assurer une prestation efficace des services, une collecte rigoureuse d’informations et l’intensification de ces efforts. Gavi, avec le soutien du Fonds de contrepartie de Gavi et des partenaires tels que la Fondation Eleanor Crook, la Fondation Aga Khan, le Child Nutrition Fund et la Children’s Investment Fund Foundation, cherche à établir une base de données probantes pour les programmes intégrés de vaccination et de nutrition, en démontrant leur efficacité opérationnelle, la réduction des coûts et, surtout, l’amélioration des résultats en matière de santé grâce à cette approche.

Le dépistage et le traitement de la malnutrition effectués à l’occasion des visites de vaccination de routine permettent d’optimiser toutes les interactions d’un enfant avec le système de santé. De même, les programmes de nutrition peuvent servir de point d’entrée pour les initiatives de rattrapage des vaccinations, garantissant qu’aucun enfant ne soit laissé pour compte, en particulier dans les zones géographiques les plus difficiles à atteindre. Cette approche intégrée permet non seulement d’optimiser les ressources, mais aussi de renforcer les systèmes de soins de santé primaires (SSP), en les rendant plus résilients et plus aptes à répondre aux besoins des communautés.

Les travaux visant à étayer cette approche sont déjà bien avancés. Les études commanditées par Gavi et la Fondation Eleanor Crook mettent en évidence le potentiel des programmes intégrés pour améliorer l’efficacité des vaccins et les résultats nutritionnels. Des rapports tels que Bridging the Gap (Combler le fossé), publié par Results UK, confirment que le décloisonnement des programmes peut avoir un impact à grande échelle. Enfin, Gavi cofinance, avec ses partenaires, un nombre croissant de projets, de modèles et d’expérimentations pilotes visant à confirmer l’hypothèse selon laquelle la prestation conjointe de services permet d’atteindre un plus grand nombre d’enfants « zéro dose » que si les services du PEV (Programme élargi de vaccination) étaient fournis seuls.

À l’approche de notre prochaine période stratégique, qui sera axée sur l’intégration des soins de santé primaires, Gavi et ses partenaires s’engagent à exploiter pleinement le potentiel de la vaccination en l’associant à des interventions sanitaires complémentaires, notamment en matière de nutrition. Ensemble, nous pouvons accélérer les progrès vers un monde où chaque enfant, quel que soit son lieu de naissance, est protégé contre la maladie et jouit des bases d’un avenir sain. Il ne s’agit pas seulement d’une approche intelligente, mais d’un impératif pour l’équité en matière de santé dans le monde.

 

Focus 2030 : Pourriez-vous détailler les initiatives que Gavi soutient actuellement qui tiennent compte du lien entre la nutrition et la vaccination pour améliorer les résultats globaux en matière de santé ? Quels sont les retombées observées sur le terrain et les défis qu’il reste à relever ?

Dr Sania Nishtar : Chez Gavi, nous reconnaissons que la santé des enfants dépend d’interventions intégrant la vaccination et la nutrition. En abordant ces défis de manière holistique, nous maximisons l’impact. L’un des mécanismes de financement utilisés par Gavi pour intégrer la nutrition et la vaccination a été le Fonds de contrepartie de Gavi, généreusement soutenu par la Fondation Gates, le Foreign, Commonwealth & Development Office (FCDO) du Royaume-Uni et le gouvernement des Pays-Bas. Ceci a permis de mobiliser des fonds philanthropiques et d’encourager les partenariats multisectoriels pour faire progresser l’intégration des systèmes de santé dans les programmes.

Au Nigeria, l’initiative Nutrivax, d’un montant de 2 millions de dollars, cofinancée par la Fondation Eleanor Crook (ECF), montre comment les services de nutrition peuvent stimuler la demande et l’utilisation des vaccins. En identifiant les manques et les opportunités, nous visons à optimiser la manière dont les services de vaccination et de nutrition sont fournis ensemble.

En Indonésie, Gavi, Unilever Lifebuoy et The Power of Nutrition ont uni leurs forces pour venir en aide à plus d’un million d’enfants de moins de cinq ans, en intégrant des programmes de vaccination, d’éducation nutritionnelle et de lavage des mains à une campagne numérique très innovante regroupant les trois secteurs autour d’un même message sur la santé de la famille.

En Éthiopie, Gavi, le Child Nutrition Fund et la Children’s Investment Fund Foundation (CIFF) ont alloué 30 millions de dollars pour vacciner 100 000 enfants « zéro dose » grâce à la prestation conjointe de services de nutrition et de vaccination allant au-delà des programmes de routine. Ce type de démarche s’applique également aux situations humanitaires, comme en témoigne le programme REACH mis en œuvre par l’IRC.

Les premiers résultats sont prometteurs. En Éthiopie, nous avons vacciné plus de 55 000 enfants et sommes en bonne voie pour atteindre l’objectif de 100 000 enfants d’ici la fin de l’année, en particulier dans les communautés rurales et nomades, où tout point de contact, qu’il s’agisse de travailleurs sociaux, de groupes d’entraide ou de sages-femmes, permet de fournir des services vitaux. Cependant, des défis subsistent. Le cloisonnement des systèmes de santé, la fragmentation des financements et le manque d’analyse conjointe des données dans le cadre d’une approche centrée sur l’enfant entravent l’efficacité de la collecte de données et de l’orientation des patients vers les services appropriés afin d’éviter les rechutes et les vaccinations incomplètes. De nombreux personnels de santé de première ligne fournissent déjà des services de vaccination et de nutrition, mais ces efforts nécessitent une meilleure prise en compte des données, un alignement des politiques et un financement durable afin d’être systématiquement intégrés.

Dans le cadre de Gavi 6.0, notre cadre d’intégration des soins de santé primaires (SSP) favorisera la prestation de services conjoints dans plusieurs secteurs, y compris la nutrition, en fonction des besoins des pays. La collaboration et l’union des forces avec les plateformes de nutrition sont l’un des leviers par lesquels Gavi parvient à atteindre les populations les plus difficiles à desservir, afin de s’assurer qu’aucune occasion n’est manquée.

D’ici 2030, Gavi établira 1,4 milliard de points de contact individuels entre les familles et les services de santé. Pour ce faire, il faudra intégrer davantage la vaccination dans les soins de santé primaires et travailler sans relâche avec des partenaires nouveaux et existants afin de renforcer les systèmes de santé, et d’atteindre davantage de femmes et d’enfants qui ne reçoivent actuellement aucune dose de vaccin, dans l’esprit du programme de Lusaka.

 

Focus 2030 : La reconstitution des ressources de Gavi se tient la même année que le Sommet Nutrition for Growth, qui se tiendra les 27 et 28 mars à Paris. Comment ces deux événements majeurs de collecte de fonds peuvent-ils être liés pour répondre aux problèmes cruciaux de la nutrition et de la vaccination, et garantir leur succès ?

Dr Sania Nishtar : Nous participons au sommet pour nouer des contacts avec divers partenaires, connaître les meilleures pratiques de nos pays de mise en œuvre et comprendre les approches novatrices utilisées par le secteur privé et les partenaires pour lutter contre la malnutrition. Ce processus d’apprentissage est essentiel pour que Gavi puisse alimenter ses propres programmes, compte tenu du fait que nous essayons tous de servir les populations vulnérables, en particulier les enfants, de la manière la plus efficace et la plus significative possible.

La présence de Gavi au sommet est également l’occasion de contribuer à la discussion sur les moyens de renforcer l’efficacité et d’améliorer le financement des soins de santé primaires, ce qui est essentiel pour atteindre les objectifs mondiaux en matière de nutrition. En se concentrant sur les synergies entre le financement de la nutrition et de la santé, Gavi vise à garantir que les ressources disponibles sont utilisées efficacement pour réaliser des progrès significatifs en vue de mettre fin à la malnutrition.

Le sommet N4G offre à Gavi une plateforme pour collaborer avec d’autres décideurs, partager des expériences et surmonter ensemble les obstacles à la prise en compte de la nutrition dans les politiques et les programmes de santé.

Ce type de collaboration entre les partenaires de la santé mondiale est plus important que jamais. Les défis interconnectés de la malnutrition, de la sous-nutrition et de la mauvaise santé exigent une approche unifiée et intersectorielle pour lutter contre leurs multiples causes et conséquences. Plus les partenaires coordonneront leurs efforts, plus leur impact sera grand. En travaillant ensemble, Gavi et ses partenaires peuvent créer des solutions globales et durables qui garantissent qu’aucun enfant ne soit laissé pour compte dans la lutte contre la malnutrition.

 

NB : Les opinions exprimées dans cette interview ne reflètent pas nécessairement les positions de Focus 2030.

 

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