Aide publique au développement : le grand renoncement ?

L’Humanité fait face à un nombre sans précédent de crises concomitantes… et la France regarde ailleurs.

Alors que la multiplication des conflits entraîne une hausse dramatique du nombre de personnes réfugiées dans le monde, que l’année 2023 - et vraisemblablement 2024 - a été la plus chaude de l’histoire, que près de 700 millions de personnes vivent désormais en dessous du seuil d’extrême pauvreté, la France s’apprête à sabrer son aide internationale.

À l’heure où le nouveau gouvernement fait face à une contraction inédite de son espace fiscal, avec un endettement, un déficit public et des taux d’intérêt en hausse exponentielle, les arbitrages budgétaires se multiplient.

Encore faudrait-il s’intéresser à l’efficience des politiques publiques susceptibles d’être rabotées et prendre la mesure de nos interdépendances mondiales. L’APD, quand elle n’est pas détournée de sa fonction première, est pourtant l’une des rares actions publiques à engendrer autant de résultats à un coût modeste (1 % du budget de l’État) que l’on songe au nombre d’enfants vaccinés, aux gouvernements accompagnés dans leur transition écologique et sociale, à la préparation aux futures pandémies et à l’amélioration des conditions de vie de millions de personnes grâce à la mobilisation des acteurs de terrain.

Notre bilan de la politique d’aide publique au développement de la France depuis 2017 démontre, chiffres à l’appui, que la France a su jouer un rôle singulier dans le concert des nations en assumant une ambition et une vision pour la planète, alors que la tentation du repli s’imposait partout dans le monde.

Or, après des années d’efforts salués par la communauté internationale, la mission Aide publique au développement est sur le point d’être à nouveau la plus réduite - tant en volume qu’en proportion - dans le prochain projet de loi de finances 2025, ce, à hauteur de 23 % (1,3 milliard d’euros), après une première coupe de 13 % (742 millions d’euros) en février dernier.

Pionnière en matière de financements innovants, la France envisage également de supprimer le Fonds de solidarité pour le développement, un dispositif original abondé par une partie des recettes issues de la « taxe Chirac » sur les billets d’avion et de la taxe sur les transactions financières dont la France s’enorgueillit à juste titre sur la scène internationale.  

En donnant un coup de rabot disproportionné sur son aide publique au développement, la France pourrait susciter des réactions en chaîne de la part des autres bailleurs alors que la preuve de son leadership est attendue sur de nombreux dossiers : réponses humanitaires à Gaza et au Liban, reconstitution de l’IDA, l’instrument concessionnel de la Banque mondiale, Sommet Finance en commun, Sommet Nutrition for Growth qu’elle hébergera sur son sol les 27 et 28 mars prochain, reconstitution des fonds multilatéraux en santé (OMS, Gavi, Fonds mondial).

Affaire à suivre…

 Dernières actualités 

• #CoupesAPD Le projet de loi de finances 2025 (PLF2025) laisse présager une coupe drastique de 1,3 milliard d’euros dans l’aide publique au développement (APD) de la France, soit une baisse de 23 % par rapport au PLF2024. Pour la deuxième fois cette année, l'APD est la mission la plus affectée par des coupes budgétaires, malgré l’engagement pris par la France en 2021 de consacrer 0,7% du RNB à l’APD d’ici 2025. 83 dirigeants d’ONG dénoncent une « décision funeste » mettant en péril le soutien à des millions de personnes vulnérables. Le PLF2025 opère en outre un renoncement politique mettant un terme à des années d’efforts diplomatiques en faveur des financements innovants du développement. Il envisage ainsi de supprimer le Fonds de solidarité pour le développement, qui permet de prélever une portion des recettes de la taxe sur les transactions financières et de la taxe sur les billets d’avion pour financer le développement. À lire : Libération et La Croix se sont faits l’écho des préoccupations des acteurs de la solidarité internationale. À noter que ce recul français s'inscrit dans une tendance plus large : d’autres pays comme l'Allemagne, le Royaume-Uni, les États-Unis ou les Pays-Bas prévoient de réduire leur APD en 2025.

• #SommetdelAvenir #FinancementDuDéveloppement Le Pacte de l'Avenir adopté à l'unanimité par les États membres des Nations unies lors du Sommet de l’Avenir des 22 et 23 septembre, propose plusieurs orientations liées au financement du développement : taxation des ultra-riches, examen de l'architecture internationale de la dette mené par le FMI avec un suivi de l'ONU, renouvellement de la promesse des pays riches d'allouer 0,7 % de leur RNB à l'APD, et appel à ceux-ci à redistribuer la moitié de leurs réserves de droits de tirage spéciaux. Ces engagements sont toutefois jugés insuffisants par Eurodad, qui déplore la faible priorité accordée à ces questions, et par le Civil Society FfD Mechanism qui qualifie le sommet d'« échec » à cet égard à quelques mois de la 4^e Conférence internationale sur le financement du développement (FfD4) organisée à Séville du 30 juin au 3 juillet 2025.

• #FiscalitéMondiale Selon un nouveau rapport d’ActionAid, une fiscalité plus équitable pourrait, à l’échelle mondiale, générer 2 000 milliards de dollars supplémentaires par an pour lutter contre les inégalités et les changements climatiques, alors que les ultra-riches sont responsables de 16 % des émissions de carbone mondiales – soit autant que les 66 % les plus pauvres de la planète – et que les profits de l'industrie pétrolière ont atteint 4 000 milliards de dollars en 2022. La future Convention des Nations unies sur la coopération fiscale internationale, dont les termes de référence ont été adoptés en août dernier et qui devrait être ratifiée d'ici fin 2027, constitue un pas dans cette direction bien que la France, à l'instar de la majorité des pays de l'OCDE, se soit abstenue.

• #Multilatéralisme&Inégalités Oxfam a rendu publique une étude intitulée « Multilateralism in an Era of Global Oligarchy » dévoilant l'incapacité du système multilatéral à répondre efficacement à la lutte contre les inégalités mondiales. Alors qu’1 % des plus riches détiennent plus de richesses que 95 % de la population mondiale, Oxfam préconise une taxation renforcée des ultra-riches dont les revenus sont tirés d’un système global qui les avantage.

Lire notre dossier spécial sur le Sommet de l’Avenir et ses résultats.

• #Data Trois nouveaux rapports sur la réalisation des ODD publiés en amont de l’AGNU soulignent unanimement que la communauté internationale doit redoubler d’efforts pour atteindre l’ensemble des objectifs qu’elle s’était fixés à l’horizon 2030. Le rapport des Nations unies sur les Objectifs de développement durable révèle ainsi que seules 17 % des cibles des ODD sont en voie d’être atteintes à cette échéance, et que le déficit de financement des ODD pour les pays en développement s’élève désormais à 4 000 milliards de dollars par an. Le rapport Goalkeepers 2024 s’attache cette année à identifier les défis qui persistent en matière de malnutrition, et estime que sans réaction de la communauté internationale et faute de financements adaptés, plus de 40 millions d’enfants souffriront de retards de croissance et plus de 28 millions seront victimes des formes les plus graves de malnutrition d’ici 2050 en raison des changements climatiques. Enfin, le Rapport sur le développement durable 2024 du Sustainable Development Solutions Network (SDSN) formule des recommandations concrètes pour atteindre les ODD dans les temps impartis. L’étude met en exergue la nécessité de réformer l’architecture financière internationale pour permettre aux pays à revenu faible et intermédiaire d’accéder à des financements de long terme à des conditions abordables.

• #ActivistesClimat Le rapport Missing Voices de Global Witness condamne le traitement subi par les activistes mobilisés contre la déforestation, l'exploitation des terres et les activités minières non réglementées. L’organisation révèle que 196 activistes environnementaux ont été tués en 2023, portant le nombre total de morts à plus de 2 000 depuis 2012. Cette violence est particulièrement prégnante en Amérique latine, alors que 70 % des assassinats recensés se concentrent dans quatre pays : le Brésil, la Colombie, le Honduras et le Mexique.

• #Désinformation Reporters sans frontières (RSF) a lancé un projet d’enquête sur la géopolitique de la propagande intitulé « Propaganda Monitor ». Ce programme vise à exposer et analyser les mécanismes de désinformation orchestrés par certains États, en mettant en lumière leurs stratégies de manipulation médiatique. L'objectif : démasquer les outils de propagande utilisés pour influencer l'opinion publique mondiale. La première saison de cette initiative est dédiée à la Russie.

 Dernières actualités 

• #AGNU79 #DiplomatieFéministe En marge de l’Assemblée générale des Nations unies, le nouveau ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a participé le 25 septembre à l’évènement ministériel du Groupe des diplomaties féministes (FFP+). Il a rappelé à cette occasion les engagements internationaux de la France, dont la lutte contre les violences sexuelles et sexistes et contre les violences en ligne, le soutien aux mouvements féministes, ou encore la promotion des droits et santé sexuels et reproductifs. La France accueillera la prochaine Conférence des politiques étrangères féministes en 2025, année également marquée par le 30^e anniversaire de la déclaration et plateforme d’action de Pékin.

• #GénérationÉgalité ONU Femmes a présenté le rapport de redevabilité 2024 du Forum Génération égalité, qui a mobilisé 50,3 milliards de dollars d'engagements financiers, soit le double des engagements renseignés en 2022, dont 40,4 milliards déjà sécurisés pour l’égalité de genre. Cette année, 53 % des porteurs d’engagements ont répondu à l’enquête menée par ONU Femmes sur l’avancée des « coalitions d’action », qui représentent 73 % des engagements pris lors du Forum. Tout savoir sur les engagements et le bilan du Forum Génération égalité. Isabelle Rome, Ambassadrice pour les droits de l’Homme, a rappelé les initiatives portées par la France, dont le soutien à l’UNFPA et ONU Femmes, ou encore le projet de résolution de l’Assemblée générale des Nations unies porté par la France et les Pays-Bas, qui vise à lutter contre les violences faites aux femmes et aux filles en ligne, dont la présentation est programmée à l’automne.

• #ODD5 #Data ONU Femmes et le département des Affaires économiques et sociales des Nations unies (UN DESA) ont rendu publique l’édition 2024 du Gender Snapshot, qui dresse l’état des lieux de l’égalité de genre dans le monde au regard des 17 ODD. Au rythme actuel, 137 années seraient nécessaires pour mettre fin à l’extrême pauvreté des femmes, les mariages précoces seraient encore une réalité jusqu’en 2092, et la parité au sein des parlements ne serait pas atteinte avant 2063.

• #Data Equal Measures 2030 publie son Indice de Genre des ODD 2024 « Un avenir égalitaire en matière de genre en crise ? ». Tout comme le rapport d’ONU Femmes, il fait état d’importants retards : aucun pays n’est en bonne voie pour atteindre l’égalité de genre d’ici 2030, et près de 40 % des pays ont enregistré une stagnation, voire un déclin des progrès accomplis entre 2019 et 2022. Or, 74 % des cibles des ODD ne pourront être atteintes sans l’égalité de genre. Cet assombrissement des perspectives s’explique notamment par la chute des ressources financières, les atteintes à la démocratie et la hausse des conflits et de l’insécurité.

• #Climat L’ONG CARE et le Stockholm Environment Institute ont rendu public leur nouveau rapport « Beyond a seat at the table », sur les inégalités de genre dans les prises de décision sur l’adaptation au changement climatique, assortie de recommandations pour éliminer les obstacles auxquels les femmes sont confrontées et renforcer leur participation.

• #Project2025 #AntiDroits Intitulé PROJET 2025 : Une promesse anti-genre pour démanteler l’aide étrangère et le multilatéralisme, le rapport de l’Ipas décrypte le « Projet 2025 » conçu par la Heritage Foundation, un lobby d’extrême-droite, dans la perspective des prochaines élections américaines. Ce programme envisage notamment des coupes importantes dans l’APD allouée aux Nations unies et aux programmes dédiés à la santé et aux droits humains. L’ONG Suédoise RFSU alerte également sur les dangers de ce plan dans son rapport Global impacts of Project 2025, et encourage gouvernements et organisations de la société civile européennes à en prendre la mesure.

• #Francophonie À l’occasion du Sommet de la Francophonie, qui s’est tenu les 4 et 5 octobre à Villers-Cotterêts, la France a annoncé le lancement de l’Alliance féministe Francophone, une alliance coordonnée par Equipop, le Fonds pour les Femmes en Méditerranée et la Fédération Internationale pour les Droits Humains, dotée de 5 millions d’euros sur trois ans afin de soutenir la participation de militantes féministes dans les espaces multilatéraux.

• #COP29 À un mois de la COP29 qui se tiendra à Bakou du 11 au 22 novembre, la présidence azerbaïdjanaise a dévoilé son agenda d’action. Celui-ci met en avant plusieurs initiatives, dont la création d’un Climate Finance Action Fund destiné à financer des projets climatiques dans les pays en développement, alimenté par des contributions volontaires de pays et entreprises producteurs d’énergies fossiles. Lors de la 79^e Assemblée générale des Nations unies, le ministre des Affaires étrangères d'Azerbaïdjan a défendu un nouvel objectif collectif quantifié juste et ambitieux, mais a omis de mentionner la sortie des énergies fossiles, l'une des avancées phares de la COP28, comme le rappelle l’ONG 350.org. Par ailleurs, le Climate Action Tracker a récemment divulgué une analyse qualifiant les efforts climatiques de l'Azerbaïdjan de « sévèrement insuffisants », soulignant que l’Union européenne a elle aussi contribué à l’augmentation de la production de gaz du pays hôte en signant un contrat énergétique après l'invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022.

• #Afrique La Banque Mondiale estime qu’en 2023, les catastrophes naturelles ont coûté la vie à 74 000 personnes dans le monde et entraîné des pertes estimées à 250 milliards de dollars. Selon l’Organisation météorologique mondiale, le continent africain subit de manière disproportionnée le changement climatique et les coûts de son adaptation. En outre, les températures en Afrique ont augmenté de 0,3°C par décennie entre 1991 et 2023, et 118 millions de personnes en situation d’extrême pauvreté seront exposées à des catastrophes climatiques d'ici 2030. On estime par ailleurs que les pays africains perdent en moyenne 2 à 5 % de leur PIB pour faire face aux phénomènes climatiques extrêmes, et que 30 à 50 milliards de dollars par an s’avèrent nécessaires pour l'adaptation au climat en Afrique subsaharienne.

• #Éducation D’après le rapport Choosing Our Future: Education for Climate Action de la Banque Mondiale, 400 millions d’étudiant·e·s ont été affectés par des fermetures d’écoles pour causes climatiques depuis 2022. Le rapport examine les effets néfastes des changements climatiques sur l'éducation dans les pays à revenu faible et intermédiaire et propose des solutions pour mettre l'éducation au service de l'action climatique.