Focus 2030
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68ème Commission de la condition de la femme des Nations unies (CSW) : enjeux et mobilisation des organisations de la société civile

Publié le 4 mars 2024 dans Actualités , mis à jour le 11 avril 2024

Les Nations unies assurent un suivi régulier des droits des femmes à travers la réunion d’une commission dédiée qui fait l’objet d’une attention toute particulière des mouvements féministes. Décryptage.

 

Dossier spécial sur l’état des inégalités femmes hommes-dans le monde en 2024 :

Ce décryptage de la CSW est l’une des composantes d’un dossier spécial consacré aux inégalités de genre dans le monde en 2024.

La 68ème Commission de la condition de la femme (CSW), se tient du 11 au 22 mars 2024 à New York. Cet événement annuel, qui joue un rôle primordial pour l’avancement des droits des femmes sur la scène internationale, aura cette année pour objectif prioritaire le renforcement des institutions et des financements afin d’accélérer l’atteinte de l’égalité des genres. Qu’est-ce que la CSW et quel est son fonctionnement ? Qu’attendre de cette 68ème session ? Comment les organisations de la société civile se mobilisent-elles dans ce cadre ? Décryptage.

La Commission de la condition de la femme des Nations unies : objectifs et fonctionnement

La Commission de la condition de la femme est une commission fonctionnelle du Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC). Créée en 1946 et composée de 45 membres, elle est le principal organe intergouvernemental mondial dédié exclusivement à la promotion de l’égalité des genres et de l’autonomisation des femmes. La CSW joue également depuis 1996 un rôle de suivi de la mise en œuvre de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing, adoptés par les Nations unies en 1995, qui constituent à ce jour l’agenda international le plus progressiste en matière d’avancée des droits des femmes et d’égalité entre les genres.

Chaque année, la CSW se réunit à New York autour d’un thème prioritaire pour faire le point sur les progrès accomplis, identifier les défis à relever, susciter des politiques publiques et établir des normes mondiales en vue de promouvoir l’égalité des genres et les droits des femmes et des filles. Les discussions aboutissent à des « conclusions concertées », négociées et adoptées par l’ensemble de ses États-membres. Les organisations de la société civile accréditées auprès de l’ECOSOC sont également invitées à participer aux sessions de la Commission et à organiser leurs propres sessions de discussion en marge de l’événement.

La CSW vise notamment la protection des droits et de la santé sexuels et reproductifs (DSSR). En 2014, à l’occasion de la 58ème session, la Commission a affirmé « garantir la promotion et la protection des droits humains de toutes les femmes, de leur santé procréative et sexuelle, et de leurs droits procréatifs (...) compte tenu du fait que les droits de l’homme incluent le droit à la maîtrise de sa sexualité et aux décisions libres et responsables, notamment en matière de santé procréative et sexuelle, exemptes de coercition, de discrimination et de violence ». Ces droits incluent, entre autres, l’accès aux méthodes sûres et modernes de contraception, à la contraception d’urgence et à l’avortement sans risques.

Focus sur la 68ème CSW : renforcer les institutions et les financements pour la réalisation de l’égalité des genres

Un groupe d’expert·e·s s’est réuni en octobre 2023 afin de faire le point sur cet enjeu et préparer les discussions de la Commission. Leurs recommandations comprennent notamment la réforme complète de l’architecture financière internationale afin de mobiliser les financements publics nécessaires pour éradiquer la pauvreté des femmes et alléger la dette des pays qui en auraient besoin ; une plus grande coopération fiscale internationale afin de générer de nouvelles ressources pour les pays en développement ; et l’intégration du genre dans les cadres de soutenabilité de la dette.

L’agenda non-définitif et les propositions de conclusions de la 68ème CSW sont d’ores et déjà disponibles. Ces dernières invitent les gouvernements à intégrer une perspective genrée dans l’ensemble des financements pour le développement, notamment à travers l’adoption de budgets sensibles au genre et la participation égale des femmes et des hommes aux processus de décision. L’élargissement des espaces fiscaux nationaux afin de favoriser les investissements visant à éliminer la pauvreté des filles et des femmes est également encouragé, particulièrement à travers la réforme des banques multilatérales de développement, le renforcement des politiques fiscales nationales et internationales et l’atteinte de l’engagement d’allouer 0,7 % du revenu national brut des pays industrialisés à l’aide publique au développement.

Pour la première fois, une grande délégation d’une quinzaine de député·e·s français·es, sera présente à New York dans le cadre de la CSW. Ce déplacement sera l’occasion de porter la voix de la France sur les droits et la santé sexuels et reproductifs (DSSR), notamment dans un contexte d’inscription de l’IVG dans la Constitution. La Ministre déléguée à l’égalité femmes-hommes, Aurore Bergé sera également présente sur place.

Quelle participation des organisations de la société civile ?

Chaque année, les organisations de la société civile mobilisées autour des droits des femmes participent activement à la CSW, à la fois en mobilisant leur expertise au cours des discussions formelles de la Commission et en permettant la création d’un débat libre en dehors des sessions officielles. Focus 2030 qui sera représentée à cette occasion a recensé plusieurs de ces initiatives  :

  • Lundi 11 mars :
    • 10h-13h : Conférence d’ouverture à l’ONU
    • 16h : évènement parrainé par le France sur les violences sexuelles et le viol comme arme de guerre (lieu TBC)
  • Mardi 12 mars :
    • 14h30-15h30 : Side Event d’Action Contre la Faim "Closing the Gender Nutrition Gap - a key feminist approach to fight hunger and undernutrition" (au Salvation Army Auditorium à l’ONU)
    • 14h30 : Side event organisé par Ipas Afrique Australe et de l’Est, Ipas Nigeria, Ipas RDC sur “Financing Safe abortion to accelerate Gender Equality” (Room AACY Armenian Convention Center, 630 2nd Avenue, New York)
  • Mercredi 13 mars :
  • Jeudi 14 mars :
    • 12h30-14h30 : évènement organisé par CARE, sous les auspices du gouvernement du Bénin, sur "La Participation Politique des Femmes : Accélérer l’Égalité et l’Autonomisation" (à la Mission d’Observation de l’Union Africaine, Salle Nelson Mandela - 305 East 47th Street, 5th Floor)
    • 16h45 : Side event de Femmes Santé Climat sur "Feminist Climate Justice, Poverty and Environmentally Sustainable Systems : How Governments and Organizations are Taking Innovative Action at the Nexus of these Issues" (lieu TBC)
    • 17h : Side event de la Fondation BATONGA & Groupe de Travail Suivi et Redevabilité GEF, “Responsabilité Féministe : Perspectives et Stratégies de Transfert de Pouvoir et de Ressources”. Inscriptions (Ford Foundation Center for Social Justice 320 E 43rd St, New York, NY 10017)
  • Samedi 16 mars :
    • 14h-15h30 : Side event d’Action Contre la Faim : "Feminist reflections on the Voluntary Guidelines on Gender equality of the Committee on world Food Security and ways forward for social protection and climate action" (lieu TBC)
  • La coalition d’ONG CSW/NY organise comme chaque année un forum gratuit et ouvert au public (sur inscription) en marge de la CSW qui accueille plus de 750 événements d’organisations de la société civile, qui formulent des recommandations pour influencer les conclusions de la CSW
  • À l’occasion de cette 68ème Commission, CSW/NY a notamment préparé un kit de plaidoyer à destination des représentant·e·s de la société civile et des activistes féministes et a mobilisé un groupe de recherches de plaidoyer pour formuler des recommandations à intégrer dans les conclusions de la CSW

 

Découvrez tous les side-events sur le site officiel.

 

Comment participer à la CSW  ?

Les inscriptions des ONG dotées du statut consultatif auprès de l’ECOSOC se sont clôturées le 26 janvier 2024. Néanmoins, l’accès au forum des ONG est gratuit et ouvert au public sur inscription à ce lien. L’ensemble des sessions de discussion officielles seront retransmises en direct sur le site internet des Nations unies.

Que retenir de la CSW68 ?

Deux chef·fe·s d’État, trois vice-président·e·s, plus de 100 ministres, 4 800 représentant·e·s d’organisations de la société civile ont participé à la 68ème CSW, la Commission sur la condition de la femme, à New York du 11 au 22 mars autour de plus de 1000 évènements officiels et parallèles. 

Selon le rapport présenté par le Secrétaire général des Nations Unies à cette occasion, 10,3% des femmes dans le monde vivent actuellement dans des conditions d’extrême pauvreté, soit avec moins de 2,15 dollars par jour. António Guterres a souligné que les progrès vers l’élimination de la pauvreté devraient être 26 fois plus rapides pour atteindre les objectifs de développement durable d’ici 2030. 

Parallèlement, l’OCDE rendait ses dernières données publiques. Mauvaise nouvelle  : on assiste depuis 2020 a une baisse significative des engagements financiers pour la promotion de l’égalité femmes-hommes. La part de l’aide publique au développement des 30 pays du Comité d’aide au développement ayant l’égalité femmes-hommes comme objectif principal (marqueur 2) a enregistré un nouveau recul de 5% en 2022 (après -8 % en 2020 et -10 % en 2021). 

Dans ce contexte, la 68ème Commission de la condition de la femme (CSW68) a adopté par consensus le 22 mars, dernier jour des négociations, un plan visant à renforcer le financement et les institutions pour éradiquer la pauvreté des femmes et des filles. Dans un communiqué de presse, ONU Femmes s’est félicitée de l’adoption de ce « plan d’action robuste pour mettre fin à la pauvreté des femmes ».

Décryptage des résultats de la CSW68

La Commission reconnaît que les femmes et les filles vivant dans la pauvreté deviennent des « amortisseurs » en temps de crise, et que des efforts supplémentaires seront nécessaires pour accroitre les ressources afin de lutter contre cette pauvreté. Plus largement, la Commission appelle les États membres et toutes les parties prenantes concernées à prendre des mesures dans les domaines suivants :

  • Architecture financière internationale  : mettre en œuvre des réformes audacieuses pour une architecture financière internationale plus adaptée, équitable et rapide face aux besoins des pays en développement et des femmes et filles vivant dans la pauvreté.
  • Dette et fiscalité : engager des réformes pour permettre aux pays de mobiliser des ressources en faveur de l’égalité des genres, notamment par le biais d’allègements de dette et d’une fiscalité progressive.
  • Financement de l’égalité des genres : Respecter les engagements existants en matière de financement de l’égalité des genres et intégrer une perspective de genre dans les initiatives de financement du développement.
  • Financement des organisations féministes : soutenir financièrement les organisations de femmes qui jouent un rôle crucial dans la lutte contre la pauvreté.
  • Protection sociale et santé  : renforcer les systèmes de protection sociale prenant en compte le genre et augmenter les investissements dans l’économie des soins.
  • Aide d’urgence : fournir une aide d’urgence aux femmes et aux filles vivant dans des situations de conflit armé, en garantissant des services vitaux.
  • Représentation des femmes  : assurer la participation et la représentation des femmes à tous les niveaux de la vie publique, en allouant les ressources nécessaires pour soutenir cette participation.
  • Renforcement de la coopération internationale : renforcer la coopération internationale et régionale, y compris Nord-Sud, Sud-Sud et les partenariats triangulaires.

Décryptages des réactions des organisations de la société civile

Amina Hersi, responsable des droits des femmes et de la justice auprès d’Oxfam International relève que la 68ème session de la CSW n’a pas marqué de net recul mais n’a pas non plus permis de réaliser de progrès significatifs.

Le Planning Familial salue les recommandations intégrées dans le texte final, notamment l’augmentation des investissements dans la santé numérique et le soutien financier aux organisations féministes, mais déplore l’absence de considération pour les droits des personnes LGBTQIA+. L’association rappelle que les DSSR restent largement contestés, comme l’illustre la forte mobilisation des mouvements anti-choix, de plus en plus structurés et déployant des ressources importantes pour se faire entendre lors des évènements internationaux.

Equipop souligne l’importance de la recommandation adoptée qui encourage les gouvernements et les bailleurs privés à accroître leur soutien aux organisations de la société civile en fournissant des financements durables, flexibles et pluriannuels. Selon l’association, ce soutien est essentiel pour contrer le backlash, comme en témoigne la forte présence des mouvements anti-droits lors des événements parallèles et des négociations à la CSW.

Selon Plan International des résultats positifs ont émergé de la CSW68, avec pour la première fois une reconnaissance de l’importance d’investir dans les besoins des filles pour briser les cycles de discrimination, de violence et de pauvreté.

CARE France salue l’appel à davantage de financements pour les organisations féministes et la reconnaissance de la nécessité d’une plus grande participation des femmes et des filles dans la transition vers des économies durables. L’ONG prône une concrétisation de ces engagements.

Selon l’analyse du média en ligne Devex, les négociations n’ont pas permis de renforcer une disposition relative aux droits et à la santé sexuels et reproductifs (DSSR) et "les gouvernements occidentaux ont échoué à promouvoir explicitement les protections des personnes LGBTQI+". De plus, l’ambassadeur de l’Arabie saoudite auprès des Nations Unies, Abdulaziz Alwasil, a été nommé mercredi 27 mars, à la tête de la CSW pour présider la 69ème session sur la promotion de la qualité du genre dans le monde en 2025, ce qui suscite nombre de préoccupations en raison des antécédents du pays en matière de restrictions des droits des femmes.

 

La 69ème session de la Commission de la condition de la femme se tiendra du 10 au 21 mars 2025 à New York.
 

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