Publié le 9 juin 2023 dans Faits et chiffres
Panorama des solutions pour financer le développement durable et l’action climatique
Découvrez l’état des lieux des différentes mesures envisagées pour mobiliser des financements additionnels afin d’atteindre les ODD.
En amont de la 4ème Conférence internationale sur le financement du développement (FfD4), Focus 2030 a réalisé un dossier spécial afin de présenter les enjeux de la Conférence et les solutions envisagées dans ce cadre pour financer les Objectifs de développement durable à hauteur des besoins. Retrouvez dans ce dossier des faits et chiffres, infographies, témoignages d’expert·es, campagnes de mobilisation citoyenne et résultats de sondage en lien avec cette rencontre. |
Le constat est sans appel : le monde est plus fracturé que jamais. Dérèglements climatiques, explosion des inégalités, hausse de la pauvreté ou encore surendettement des pays les plus fragiles mettent à mal une communauté internationale de plus en plus divisée et menacent l’atteinte des Objectifs de développement durable, à 5 ans de la date butoir de l’Agenda 2030.
Alors que seules 17 % des cibles des ODD sont en voie d’être atteintes en 2030, les besoins de financement pour le développement durable augmentent de manière exponentielle. Ils sont aujourd’hui de 4 000 milliards de dollars par an, et pourraient atteindre 6 400 milliards en 2030. À titre de comparaison, l’aide publique au développement n’est parvenue à mobiliser que 212 milliards de dollars, soit 5 % des besoins annuels identifiés par l’OCDE.
Des engagements financiers ont déjà été pris par les pays industrialisés, certains de longue date : l’un des enjeux du sommet consistera à les réaffirmer.
L’aide publique au développement (APD) est une assistance financière fournie par les pays membres du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE dans le but d’améliorer le développement économique et le niveau de vie des pays en développement et de financer des biens publics mondiaux tels que la santé mondiale, l’éducation, l’égalité de genre. En 1970, les pays du CAD se sont engagés dans le cadre des Nations unies à consacrer 0,7 % de leur revenu national brut (RNB) à l’APD.
Néanmoins, cet engagement n’a à ce jour jamais été atteint : en 2024, l’APD a même diminué pour la première fois en cinq ans, ne représentant que 0,33 % du RNB des membres du CAD. Alors que jamais les besoins n’ont été aussi manifestes, certains pays, dont la France, ont même récemment réduit leur contribution à la solidarité internationale.
Le non-respect de cette promesse depuis cinquante ans signifie dans les faits un manque à gagner considérable, estimé à hauteur de 7 776 milliards de dollars. En seulement 5 ans (de 2020 à 2024), une APD à 0,7 % aurait permis de mobiliser 1 000 milliards de dollars supplémentaires pour le développement des pays les plus fragiles.
Afin de mobiliser davantage de financements pour les pays en développement, il importe que les engagements pris par les pays du CAD soient respectés, et que l’aide soutienne en priorité les pays qui en ont le plus besoin. .
Néanmoins, si l’APD est le mécanisme privilégié pour le financement du développement international, notamment le soutien des services essentiels (santé, éducation, nutrition, égalité de genre), tous les observateurs reconnaissent que les montants mobilisés par ce biais ne sont pas suffisants pour faire face aux urgences actuelles, tout particulièrement le financement de la transition climatique.
Les pays industrialisés se sont engagés à mobiliser un nouvel objectif collectif quantifié (NCQG) de 300 milliards de dollars par an pour le climat à partir de 2035 lors de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques de 2024 (COP29) qui s’est tenue à Bakou, en Azerbaïdjan afin d’aider les pays en développement à lutter contre le changement climatique et à s’y adapter. Cette somme doit servir à financer des mesures telles que la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la mise en place de mesures d’adaptation ou le partage de technologies moins polluantes.
Cet engagement, qui succède à la précédente cible de 100 milliards de dollars de financements climatiques atteinte en 2022, est jugé largement insuffisant par la majorité des pays en développement et des organisations de la société civile, qui estiment les besoins autour de 1 300 milliards de dollars par an, dont 600 milliards de la part des seuls pays à haut revenu.
Au-delà du caractère insuffisant du volume des financements climatiques, leur transparence et leur qualité sont également questionnées : l’ONG ONE révèle qu’entre 2013 et 2021, 1 dollar sur 5 recensé par l’OCDE avait peu – voire pas – de rapport avec le climat. En outre, toujours selon ONE, les 20 pays les plus vulnérables aux changements climatiques n’ont perçu que 6,5 % des financements climatiques dénombrés en 2021.
Alors que les financements climatiques doivent en principe soutenir à parts égales l’adaptation aux changements climatiques et l’atténuation de leurs conséquences, les financements mobilisés ont jusqu’à aujourd’hui visé en priorité l’atténuation, qui profite principalement aux pays émergents plutôt qu’aux pays à faible revenu (69,9 milliards pour l’atténuation, 32,4 milliards pour l’adaptation et 13,6 milliards ciblant les deux objectifs en 2022), limitant la capacité des pays les plus fragiles à faire face aux conséquences actuelles des changements climatiques.
Ainsi, s’il importe d’augmenter le volume des financements destinés à la lutte contre les changements climatiques, ils nécessitent également d’être repensés pour viser davantage les pays les plus vulnérables aux conséquences des changements climatiques, financer davantage l’adaptation et présenter une plus grande transparence.
Pour aller plus loin, consulter l’article d’Eurodad sur l’objectif des 100 milliards pour le climat .
Ainsi, si les 100 milliards pour le climat doivent être atteints, ils nécessitent également d’être repensés pour viser davantage les pays les plus vulnérables aux conséquences des changements climatiques. C’est l’un des objectifs assumés du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, qui devrait notamment contribuer à favoriser l’accès à des subventions pour le climat pour les pays en incapacité à contracter des prêts.
Les droits de tirages spéciaux (DTS) sont des avoirs de réserve internationaux créés par le FMI afin de compléter les réserves de change de ses pays membres. Une allocation historique de DTS, pour un équivalent de 650 milliards de dollars US, a été effectuée par le FMI en août 2021 pour aider les pays à faire face aux conséquences de la pandémie de Covid-19. Néanmoins, les DTS étant alloués aux pays membres du FMI en fonction de leur quote-part, et donc de leur poids dans l’économie mondiale, les 59 pays les plus pauvres de la planète n’ont reçu que 4 % de cette allocation (autour de 26 milliards de dollars) contre 68 % pour les pays du G20 (442 milliards).
Face à ce déséquilibre, les pays du G20 se sont engagés en 2021 à redistribuer l’équivalent de 100 milliards de dollars en DTS aux économies les plus fragiles, notamment les plus endettées. En 2025, 92,7 milliards de dollars en DTS ont été promis par les pays du G20..
Cependant, cet engagement tarde à se concrétiser. Jusqu’à présent, seuls des mécanismes de réallocation du FMI peuvent être utilisés à cette fin, or, ils font l’objet de critiques du fait des conditions associées et des délais des processus de réallocation. Une proposition de la Banque africaine de développement et de la Banque interaméricaine de développement, qui vise à permettre la réallocation des DTS via les banques multilatérales de développement et ainsi multiplier par 4 leur portée, a été approuvée par le FMI, mais rencontre l’opposition de la Banque centrale européenne.
Malgré ces difficultés, un certain nombre d’organisations de la société civile et d’experts appellent le FMI à procéder à une nouvelle allocation de DTS pour répondre aux défis financiers actuels (crise climatique, dette, défis de développement, etc.).
Pour aller plus loin, consulter l’analyse du Center for Global Development et le policy brief d’IDOS (en anglais)
Initiative de Bridgetown : une réforme de l’architecture du financement du développement pour soutenir les pays vulnérables
Lancée en septembre 2022 par Mia Amor Mottley, première ministre de la Barbade, l’initiative de Bridgetown est un plan d’action qui vise à redonner un espace budgétaire aux pays en développement durement touchés par les conséquences directes et indirectes de la pandémie de COVID-19 et de la guerre en Ukraine, par les changements climatiques et par une crise de la dette aggravée par l’ensemble de ces facteurs. Actualisée en 2024, l’initiative de Bridgetown 3.0repose sur trois enjeux-clés :
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De nombreux mécanismes existent pour débloquer des fonds destinés aux pays en développement et les soutenir face aux multiples crises à l’œuvre. Cependant, ces dispositifs ne sont pas aussi efficaces qu’ils pourraient l’être. Réformer les institutions financières internationales pourrait permettre la mobilisation plus efficace et plus équitable de moyens financiers pour le développement et le climat.
Les Banques multilatérales de développement (BMD) sont des institutions financières internationales qui ont été créées pour allouer des financements et prodiguer des conseils en matière de développement économique et social dans les pays en développement. Elles comprennent des institutions telles que la Banque mondiale (créée en 1944 dans le cadre des accords de Bretton Woods), la Banque européenne d’investissement, la Banque africaine de développement, la Banque asiatique de développement, etc.
Le contexte international a largement évolué depuis la création de ces institutions et les besoins des pays en développement pour répondre aux crises multiples (enjeux climatiques, de la dette, etc.) ont également changé. Face à ce constat, les institutions financières de développement sont régulièrement critiquées pour leur incapacité à adapter leur stratégie à ces enjeux.
Les fondements de ces critiques sont pluriels. D’une part, les prêts des BMD dépendent de la capacité des pays à rembourser. Plus la capacité de remboursement du pays receveur est mise en doute, plus les taux d’intérêts sont élevés, contraignant la capacité des pays qui en ont le plus besoin d’accéder à des financements. D’autre part, seule une petite partie des fonds des BMD sont reversés sous forme de dons, ce qui est insuffisant pour répondre aux besoins des pays les plus pauvres.
Les institutions financières internationales, en particulier les deux institutions du système de Bretton Woods, le Fonds monétaire international (FMI) et le Groupe de la Banque mondiale, sont donc désapprouvées pour leur incapacité à répondre aux besoins financiers des pays en développement, tout particulièrement ceux à faible revenu. Les processus de nomination de leurs dirigeant·es renforcent ce déficit de légitimité : traditionnellement, la personne à la tête du FMI est désignée par les gouverneurs européens et celle du Groupe de la Banque mondiale est désignée par le gouvernement américain. Ainsi, depuis 1946, 100 % des personnes élues à la tête du Groupe de la Banque mondiale sont de nationalité américaine et 100 % des personnes élues à la tête du FMI sont européennes. Les organes de direction de ces institutions ne sont donc que peu représentatives de la réalité internationale.
De plus, les pouvoirs de vote reviennent en majorité aux pays possédant les quotes-parts les plus importantes, c’est-à-dire les pays industrialisés ou émergents. 12 pays possèdent à eux-seuls plus de la moitié des pouvoirs de vote du FMI et de la Banque Internationale pour la Reconstruction et le développement (BIRD), la principale organisation émettrice de prêts du Groupe de la Banque mondiale.
Une étude indépendante commissionnée par le G20 a estimé que la capacité de prêt des BMD pouvait être largement augmentée. En effet, ces dernières ont en leur possession 1 800 milliards de dollars d’actifs : selon cette étude, entre 500 et 1 000 milliards de dollars supplémentaires pourraient être prêtés sans mettre leur réputation en danger auprès des agences de notation et sans augmenter leur capital. Ces fonds supplémentaires pourraient notamment financer la lutte contre les changements climatiques, qui est pour l’instant un secteur largement sous-investi par les BMD.
Pour aller plus loin, consulter le rapport de suivi des engagements du Pacte de Paris pour les peuples et la planète de Focus 2030.
Si les sources de financement existantes ne sont pas suffisantes pour remplir les besoins des pays en développement, de nouveaux fonds pourraient être mobilisés par d’autres moyens : nouvelles taxes, introduction de nouveaux acteurs, allègement de la dette.
Les financements innovants sont des mécanismes financiers alternatifs généralement adossés à des secteurs économiques mondialisés et visant à corriger les effets négatifs de la mondialisation, via la mobilisation de fonds pour soutenir des projets de développement ou de lutte contre les changements climatiques, la pauvreté et les inégalités.Pour nombre d’entre eux, ces financements innovants reposent sur le principe du « pollueur-payeur », selon lequel les acteurs qui contribuent le plus au réchauffement climatique (extraction des énergies fossiles, transports maritimes et aériens) sont également ceux qui devraient contribuer le plus à la lutte contre ses conséquences.
Un certain nombre de financements innovants sont déjà appliqués au niveau national dans plusieurs pays, en particulier sous forme de taxes. En France, une partie des recettes de la taxe sur les transactions financières et de la taxe de solidarité sur les billets d’avion était, jusqu’en 2024, préaffectée à la solidarité internationale. Malgré la suppression de cette affectation par la loi de finances pour 2025, la France demeure active dans la promotion de ces taxes à l’international, notamment à travers son implication dans le Groupe de travail sur les contributions de solidarité mondiale, lancé en 2023.
Plusieurs pistes de fiscalité internationale sont à ce jour envisagées, dans le cadre de ce groupe de travail ou en dehors, qui sont répertoriées ci-dessous.
Pour aller plus loin, prendre connaissance du rapport de progrès du Groupe de travail sur les contributions de solidarité mondiale.
De nombreux pays en développement font face à une dette croissante, qui limite drastiquement leur capacité à financer des politiques sociales et à allouer des fonds pour faire face aux changements climatiques. Pour répondre à ce double défi, différentes solutions sont envisagées à court terme et sont discutées dans le cadre du sommet :
Impliquer le secteur privé dans le financement du développement des pays à faible revenu consiste à y susciter davantage d’investissements financiers du secteur privé dans des projets ayant un impact social et environnemental positif afin de contribuer à la création d’emplois, au développement d’infrastructures, à l’amélioration des conditions de vie des populations locales, ou encore à la lutte contre le changement climatique.
Plusieurs pistes sont envisagées pour encourager ces investissements. L’une d’entre elles est la mise en œuvre d’une réglementation financière spécifique par les pays développés pour encourager les investissements verts dans les pays émergents et en développement.
A fortiori, l’un des moyens privilégiés actuellement pour accélérer la transition énergétique dans les pays en développement est la mise en œuvre de partenariats pour une transition énergétique juste (Just Energy Transition Partnerships ou JETPs). Ces partenariats, habituellement conclus entre plusieurs pays ou groupes de pays, pourraient être étendus au secteur privé, et particulièrement au secteur financier privé en collaboration avec les banques multilatérales de développement. Ces partenariats publics-privés pourraient permettre d’accroître les flux de financement dans les économies émergentes et en développement tout en promouvant des projets visant à la décarbonation. Les premiers bilans des JETPs mis en œuvre depuis la COP26 notent d’ores et déjà des résultats prometteurs.
D’autres instruments permettant de favoriser les investissements privés dans les pays à bas revenus et les pays émergents ont été proposés, tels que des mécanismes de garanties contre les risques de taux de changes, ou la revue des critères d’analyse de soutenabilité de la dette pour réactualiser les perspectives de risques.